Origine des idées socialistes et communistes

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Arbre du mouvement socialiste élaboré en 1896

Les idées socialistes, communistes et anarchistes ont une histoire, même si c'est le développement concret du capitalisme et de la lutte des classes qui a créé un besoin et un espace pour ce courant politique.

Les mots « communisme » et « socialisme » signifient étymologiquement la même chose, « socius » signifiant en latin « commun ». Ces sont les utilisations de ces termes par des courants menant des politiques différentes, en particulier à partir du 20e siècle, qu'ils en sont venus à avoir des connotations si différentes.

1 Premiers mythes et religions[modifier | modifier le wikicode]

Une représentation de l'âge d'or

Dans beaucoup de récits mythiques et religieux, il y a une notion « d'âge d'or », de paradis perdu, une époque à laquelle l'humanité vivait harmonieusement, le plus souvent dans l'abondance : le Satya Yuga dans l'hindouisme, l'âge d'or en Grèce antique, les référence à un ancien Datong ou Taiping en Chine, le jardin d'Eden dans la Genèse biblique... Certains y ont vu un souvenir mythifié des rapports sociaux du communisme primitif.[1] Cette idée a souvent été invoquée par des mouvements de révoltes populaires, pour dénoncer les classes dirigeantes et se battre au nom du retour à l'âge d'or. Ce type d'utopisme a beaucoup nourri les luttes de classes dans la Chine ancienne. La justification idéologique au travers de la légitimité du passé a longtemps dominé dans l'histoire de l'humanité.

La pensée autour de cet âge d'or était parfois explicitée comme ayant un caractère cyclique (chez les Grecs, les Hindous...). Mais une autre vision plus linéaire, qui tend à s'imposer historiquement, place à la fois l'âge d'or au commencement et à la fin des temps : les trois grands monothéismes avec le retour au paradis après le Jugement dernier, le bouddhisme avec l'attente du bouddha Maitreya...

2 Antiquité[modifier | modifier le wikicode]

Dès l'Antiquité, des phénomènes de concentration des terres par de gros propriétaires sont attestés, et fournissent le terreau pour de régulières révoltes paysannes. Parallèlement, certains pauvres s'endettaient jusqu'à subir une véritable servitude. Au moins dès le 6e siècle av. JC, il y eut des redistributions de terres - appelées anadasmos - sous la pression populaire, et des annulation de dettes - seisachtheia. Mais le processus d'accumulation se reproduisait inexorablement, alimentant des réflexions sur cette lutte de classes et les moyens d'arriver à une égalité entre citoyens (cela excluait presque toujours les esclaves).

  • Platon, imagina dans son livre La République une société divisée en trois classes dont les dirigeants mettraient leurs biens en commun.
  • Sparte a adopté pour un temps un régime de communauté des terres (où la vie était très encadrée) au sein de sa classe dirigeante.
  • Athènes a mis en place une première forme de démocratie formelle (excluant les femmes et les esclaves) : malgré leurs inégalités de richesse, les citoyens avaient les mêmes droits politiques (mais de fait, les élus faisaient partie des familles puissantes).

Quand le christianisme des origines est apparu, c'était un mouvement qui eut beaucoup de succès parmi les pauvres, les femmes, les esclaves, et parmi ceux qui sont révoltés par l'oppression de l'Empire romain. De nombreux groupes chrétiens prêchaient la mise en commun des richesses. La tendance fut similaire lors de la naissance de l'Islam.

3 Révoltes au Moyen-Âge[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : Millénarisme et Moyen-Âge.

Les grandes religions, une fois devenues religions dominantes, ont tendu à désamorcer les espérances messianiques qu'elles véhiculent, en plaçant le paradis dans un au-delà inaccessible, et en insistant sur le respect du clergé et des hiérarchies sociales. Les religions dominantes se limitent en général à mettre plus ou moins en avant le devoir d'aumône envers les pauvres. Ce sont des penseurs plus marginaux qui ont ravivé les visions les plus radicales, et des mouvements « hérétiques ».

3.1 Europe[modifier | modifier le wikicode]

John Ball, souvent considéré comme le seul vrai révolutionnaire du Moyen Age européen.

Vers la fin du Moyen-âge en Europe, toute une vague de révoltes paysannes et plébéiennes ont eu lieu, au noms d'idéologies religieuses radicales, tôt ou tard condamnées comme hérésies. Celles-ci se sont beaucoup appuyées sur les idées de Joachim de Flore (12e siècle), qui théorisait qu'une ère nouvelle de paradis terrestre allait arriver (millénarisme). On peut citer par exemple :

  • La grande révolte des paysans anglais de 1381, avec la figure du prêtre John Ball qui est souvent considéré comme le seul vrai révolutionnaire du Moyen-âge européen. Ce dernier est connu notamment pour sa harangue contre l'exploitation des nobles : « Quand Adam bêchait et Ève filait, où donc était le gentilhomme ? »
  • En France il y eut des mouvements qui tinrent tête militairement à l'Église, comme les cathares (12e et 13e s.) et les Pastoureaux (1251 et 1320), mais aussi des mouvements qui étaient à l'origine des ordres monastiques tournés vers les pauvres et néanmoins condamnés pour hérésie, comme les béguards / béguines et fraticelles (13e s.).
  • En Italie les partisans de Fra Dolcino ou de Cola di Rienzo (14e s.)
  • En Allemagne les Flagellants (13e au 14e s.) et les Taborites (15e s.)

3.2 Japon[modifier | modifier le wikicode]

Le Japon médiéval a aussi connu des formes de dissidences religieuses populaires. Parmi les principaux monastères, on assistait à de l'accumulation de pouvoir économique et militaire, et à une corruption qui exaspéraient les masses populaires. En réaction, il y eut de très nombreux courants bouddhistes dissidents, en particulier l'essor des mouvements amidistes dans la première moitié du 13e siècle. La secte ikko sera la principale expression religieuse des grandes révoltes paysannes à partir de la moitié du 15e siècle.

4 Époque moderne en Europe[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : Ancien Régime.

4.1 Réforme radicale (16e s.)[modifier | modifier le wikicode]

Des aspirations à la liberté et à l'égalité ont été exprimées par des protestants radicaux.

Au 16e siècle, la Réforme ébranla l’Église catholique, ce qui fut en partie le reflet idéologique de la lutte de la bourgeoisie naissante face à une noblesse engoncée dans ses privilèges. Mais ce mouvement de remise en question a aussi suscité un ensemble de mouvements plus radicaux (« Réforme radicale ») exprimant des aspirations plus populaires et plébéiennes. Comme les mouvements religieux des siècles précédents, ces mouvements avaient une forte composante millénariste :

4.2 Utopies des 16e et 17e s.[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : Utopie.

Dans le domaine littéraire et intellectuel, le livre L'Utopie (1516) de Thomas More sera un événement majeur. More décrit une île fictive dans laquelle toute une société est organisée harmonieusement, sans propriété privée. Derrière les descriptions fantaisistes se trouve une critique en miroir de la société anglaise (notamment du contraste entre miséreux et nobles oisifs). Ce livre créé le mot « utopie » et le genre aura beaucoup de succès dans les siècles suivants.

Pour imaginer la façon de conduire à l'harmonie, les utopistes y vont tous de leur vision très subjective sur ce qui est « bien », et se lancent souvent dans des descriptions de sociétés où la vie est très régentée pour éviter les conflits et les malheurs. Et il n'y a quasiment jamais de perspectives indiquées sur la façon de passer de la société actuelle à l'utopie, sinon par la morale ; ce qui fait que l'utopie repose foncièrement sur une vision idéaliste.

Il y a cependant des intuitions. Les utopies produites seront très diverses (certaines sont en fait purement conservatrices), mais la critique radicale de la propriété privée se retrouvera dans beaucoup d'entre elles, par exemple dans La Cité du Soleil (1602) du moine Tommaso Campanella. Ces utopistes proto-communistes ont souvent peu d'espoir que leur utopie soit autre chose qu'un rêve, mais en même temps ils s'attachent à montrer qu'à partir du moment où la communauté des biens, l'éducation et le temps libre (voire l'abondance) serait instaurés, il serait « rationnel » de supposer que la communauté serait harmonieuse.

4.3 Révolution anglaise et Niveleurs (17e s.)[modifier | modifier le wikicode]

La guerre civile anglaise est un moment d'ébullition politique.

Pendant la Révolution anglaise, sous la République de Cromwell qui avait fait condamner le roi à mort en 1649, se développèrent des mouvements minoritaire radicaux. Les Niveleurs revendiquaient l'égalité complète en droit, dont le suffrage universel. A leur gauche, les Creuseurs eux ne voulaient pas se contenter d'une égalité formelle et prônaient la collectivisation des terres. L’un de ces militants, Chamberlen, publia un programme prévoyant la nationalisation des biens du roi, du clergé, des entreprises commerciales, un minimum vital pour tous, la mise au service de la collectivité des biens nationalisés, une politique de grands travaux et l’exploitation des terres en friches sous le contrôle de l’État.

4.4 18e siècle[modifier | modifier le wikicode]

4.4.1 Philosophie des Lumières[modifier | modifier le wikicode]

Chacun à sa manière, Diderot, Voltaire, D’Holbach, Helvétius et d’autres, révolutionnèrent le monde des idées avant la Révolution française en soumettant toutes les anciennes théories au crible de leur critique impitoyable. Leur cible principale était la religion, et les préjugés dans leur ensemble, qui pour eux étaient la principale cause des malheurs, et le rationalisme allait progressivement apporter une ère de vérité de justice. S'ils faisaient des pas de géants vers des explications matérialistes de la nature, leur vision de l'histoire et de la morale restait profondément idéaliste. Malgré tout, parmi eux des ébauches de critiques de l'organisation sociale ont été formulées, même si la plupart se limitent à une timide « bienfaisance » (mot inventé par l'abbé de Saint-Pierre), ou à des projets plus ambitieux mais utopiques.

La critique sociale porta essentiellement sur la misère paysanne, le problème de la propriété foncière, ou la question du commerce des grains. Les utopies reposent largement sur un passé agraire idéalisé, et sur une répartition juste d'une production à peine suffisante, sauf exception comme Morelly ou Collignon qui pressentent la société d’abondance.

Morelly est un précurseur oublié du communisme, mais qui eut une influence sur son époque, notamment sur Babeuf.

Parmi les auteurs des Lumières, certains considèrent la propriété privée comme une source d'injustice :

  • Meslier : Ce curé de campagne (en réalité athée) a développé une critique cinglante de la noblesse et du clergé oisif vivant au crochet de la paysannerie. Comme alternative, il propose le travail en commun des terres, et non le partage, qu'il voit comme une fausse solution (il prend l'exemple des communautés monastiques qui travaillent la terre en commun, et qui seraient dans la discorde si chaque moine s'appropriait individuellement une parcelle).
  • Morelly : Dans son Code de la nature qui aura une large influence (mais qui sera à tort attribué à Diderot), Morelly défend l'abolition de la propriété privée et un État-providence avant l'heure. Il est aussi un des premiers à avoir une vision optimiste sur la capacité de l'humanité à aboutir à une société d'abondance harmonieuse, dans laquelle chacun contribue selon ses moyens et consomme selon ses besoins.
  • Mably : Une critique de la propriété semblable à celle de Morelly, mais plus moralisatrice et anti-civilisation. Ce qui l'amène à parler des ouvriers de manufactures comme des « hommes vils », à vanter Sparte... Mais hormis dans son utopisme, il ne prônait que des mesures réformistes s'accommodant de la propriété privée (lois somptuaires...).
  • Dom Deschamps : Ce moine qui était secrètement quasiment athée (ou déiste), critiquait aussi fermement les philosophes des Lumières de son temps. Il reprochait à leur vision rationaliste d'être impuissante à combattre la religion, si la communauté des biens n'était pas restaurée.
  • Godwin : Défendant l'idée que l'homme subit le déterminisme de la société, il lutte pour une sorte d'individualisme libertaire émancipateur, qui le conduit aussi à vouloir abolir la propriété privée. Son analyse est cependant purement abstraite et sa stratégie limitée à l'idée de convaincre par la parole.

Ces égalitaristes mettent en avant le droit à l'existence, et le placent au dessus du droit de propriété, pour justifier une incursion plus ou moins radicale dans les richesses des puissants.

Certains penseurs (Mably, Galiani, Linguet, Necker...) se retrouveront à polémiquer avec les physiocrates, qui sont parmi les premiers économistes à justifier la liberté du commerce des grains, quelles que soient les conséquences sociales (pauvres subissant des famines pendant que des marchands spéculent sur des grains...). Cependant parmi les penseurs convaincus par les physiocrates, on pouvait trouver des sortes d'ancêtres des sociaux-libéraux (d'Argenson, Raynal...), préoccupés par la misère mais qui envisageaient surtout un essor économique encadré de façon à ce que les pauvres rattrapent les riches (ruissellement).

Diderot déplorait qu’« entre les hommes, l’indigence condamne les uns au travail, tandis que d’autres s’engraissent de la peine et de la sueur des premiers »[2] mais, très légaliste, il n'envisageait que des petits pas, sauf à la fin de sa vie où il semble se radicaliser. De même pour Helvétius, qui souligne le problème de la répartition des richesses : « Ce n’est point de la masse plus ou moins grande des richesses nationales, mais de leur plus ou moins inégale répartition, que dépend le bonheur ou le malheur des peuples. »[3] On peut également relever que Graslin fut un des premiers à défendre une idée assez précise d'un impôt progressif sur le revenu.

Représentation idéalisée de l'état de nature des « sauvages de la mer du Pacifique »

Rousseau influença beaucoup les intellectuels français à la veille de la Révolution, notamment par son Contrat social et son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. Il peint un tableau très critique des civilisations (« L’esprit universel des lois de tous les pays est de favoriser toujours le fort contre le faible, et celui qui a contre celui qui n’a rien »[4]), et contrairement à d'autres, il considère que cet état civil est une construction sociale, qui ne découle pas de l'état de nature. L'idée présente chez Rousseau que l'homme est originellement bon, mais avili par la société, est en fait une idée qui le précède et qui traverse tout le siècle, qui génère beaucoup de discours et d'utopies à base de « bons sauvages » (Guedeville, Buffier...), entre autres basées sur les échos des réductions jésuites du Paraguay ou de Tahiti (chez Diderot).[5][6][7][8]

Mais son analyse radicale contraste avec ses conclusions plutôt modérées, car au fond Rousseau ne croit pas qu'il soit possible de bouleverser radicalement la propriété privée. Il se contente de prôner une restriction de l'héritage, un impôt progressif... Finalement, Rousseau se réfugie en grande partie dans des utopies romantiques.

Dans les années 1760, il y eut une vague de philanthropie naïve dans la philosophie et la littérature (Manco-Capac, premier Inca du Pérou, de Le Blanc de Guillet en 1763, Idées d’un citoyen sur les droits et les devoirs des vrais pauvres de Baudeau en 1765, La République des philosophes ou l’histoire des Ajaoiens - œuvre anonyme - en 1768, Epître aux pauvres de Fontaine en 1769, Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre en 1787, Le Tartare à Paris de l’abbé André en 1788...). Grimm rappelait, pour le déplorer, « le nombre de ces philosophes spéculatifs si prodigieusement multiplié depuis vingt ans ». Et Métra évoquait dans sa Correspondance secrète en 1782 « ces assertions répétées depuis trente ans dans presque toutes nos brochures sur la morale, sur l’égalité, la perfectibilité de l’homme, la communauté des biens... ».

Parmi ces écrivains qui estiment que l'homme en société est devenu moins vertueux, il y a souvent l'idée (Rousseau, Helvétius, Mably, Bernardin de Saint-Pierre...) que c'est le résultat de la multiplication des besoins, de trop de civilisation. Rousseau se proclama même ennemi des sciences et des arts jugés inséparables du luxe. Ce type de position s'enferme dans des postures moralisantes, et par ailleurs, impuissantes. A l'inverse, des penseurs comme Chastellux ou Condorcet repoussaient les utopies et les idées d'un âge d'or, défendant l'idée positiviste d'un progrès de la Raison, et plaçant le bonheur humain dans le futur.

4.4.2 Révolution française[modifier | modifier le wikicode]

Les années 1780 sont un moment d'intense critique sociale. On y revendique l'égalité et la fin des privilèges aristocratiques. Mais si la critique de la grande propriété y est récurrente, c'est en réalité au nom de l'idéal d'une société harmonieuse de petits propriétaires. Un idéal petit-bourgeois naïf et généreux.

Ainsi par exemple Brissot exprime de la compréhension pour ceux qui sont poussés au vol[9], Carra défend les notions « d’égalité morale, de propriété raisonnable »[10], et Marat fustige une société qui oppose les classes :

« Périssent donc enfin ces lois arbitraires, faites pour le bonheur de quelques individus au préjudice du genre humain, et périssent aussi ces distinctions odieuses qui rendaient certaines classes du peuple ennemies des autres. »[11]

L’influence de Rousseau dominait largement, chez Saige[12], Olympe de Gouge[13]... Les revendications égalitaires s'expriment dans les cahiers de doléances, dans le cadre de la convocation des états généraux.[14][15][16] Certains prennent la défense du « quatrième ordre », la paysannerie, appelant au partage des terres.[17][18] Un utopiste prolixe comme Restif de la Bretonne se contente finalement de proposer quelques timides mesures (limiter le droit de succession en ligne collatérale, fixer le prix des denrées...).[19] Boissel déclame contre la propriété privée.

Jacques Roux et Gracchus Babeuf, deux révolutionnaires précurseurs du socialisme

Lorsque la Révolution éclate, les utopistes sont confrontés à des camps politiques entre lesquels il devient nécessaire de choisir. La posture de la rêverie n'est plus tenable, et cela conduit à des évolutions notables : certains comme Restif de la Bretonne tournent vite à la contre-révolution, Marat défend le libéralisme économique face aux plus socialisants, tandis d'autres comme Babeuf évoluent vers le communisme révolutionnaire. Certains comme Fauchet du Cercle social, ou L'Ange, tout en étant parmi les plus socialisants, sont poussés vers la droite par horreur de la violence révolutionnaire.

Les sans-culottes, qui furent l'avant garde de la révolution, n'avaient pas de vision économique claire. La faim les poussait à la révolte contre les riches « accapareurs » (gros marchands), mais ils étaient eux-mêmes presque tous des petits patrons, qui ne voyaient rien au delà de la propriété. Au plus fort de leur radicalisation, ils opposaient un vague égalitarisme à la concentration du capital, en revendiquant essentiellement le contrôle des prix du pain.

Les Jacobins n'avaient pas une idéologie très éloignée des sans-culottes. Ils se sont hissés au pouvoir en s'appuyant sur l'énergie révolutionnaire des masses pour écraser la réaction, et ont pour cela dû mettre en place quelques mesures sociales (loi du maximum...). Mais ils ont aussi réprimé les courants à leur gauche, comme les Enragés. Ceux-ci n'avaient pas une vision beaucoup plus claire (ils allaient tout au plus jusqu'à réclamer la nationalisation de la distribution), mais menaçaient toujours de déborder le gouvernement en appelant à l'insurrection et à la démocratie directe.

Dans leur lutte contre la noblesse féodale, les révolutionnaires jacobins ont pu se présenter comme des représentants, non pas seulement de leur classe sociale, mais de tous les déshérités et opprimés. C’était vrai, dans une certaine mesure, puisqu’ils étaient en lutte à mort avec les partisans du retour à l’Ancien régime. Mais la Révolution donna finalement naissance à une République bourgeoise qui réalisa non pas la justice et l’égalité éternelle et absolue mais l’égalité devant des lois le plus souvent faites pour protéger la propriété des possédants. Bien sûr c’était un immense progrès et le plus grand réalisable pour l’époque. Mais les grandes idées des philosophes étaient venues buter contre les faits économiques et sociaux. La nouvelle société n’était pas la société idéale rêvée par eux de la Justice et de la Raison.

Même si la Révolution française était avant tout dominée par l'idéal petit-bourgeois de la république de petits propriétaires, marginalement, certains se battaient déjà une forme d'organisation collectiviste. C’est notamment le cas du « premier communiste agissant », Gracchus Babeuf.

4.4.3 Révolution états-unienne et radicalisme[modifier | modifier le wikicode]

Un penny marqué d'un slogan spencéen

La fin du 18e siècle, avec successivement la révolution états-unienne et la révolution française, favorisent la réflexion politique à une échelle internationale (on parle de « révolutions atlantiques »). Des démocrates radicaux apparaissent en Angleterre, suscitant un mouvement qui rayonnera dans le monde, le radicalisme. Les radicaux étaient surtout implantés dans les masses petite-bourgeoises. Ils étaient centrés sur les revendications politiques, défendant une vraie démocratie et pas seulement un vague libéralisme qui contentait les bourgeois. Mais certains allaient jusqu'à la démocratie sociale, et des formes de socialisme agraire.

  • Spence prônait la collectivisation de la terre à l'échelle des paroisses. Il suscitera un petit mouvement appelés « philanthropes spencéens », qui s'est lancé dans des actions militantes clandestines.
  • Ogilvie dénonçait la propriété privée accumulée par une minorité de propriétaires terriens, sans aboutir à des propositions très claires.
  • Paine : Partant de l'idéal démocratique, il aboutit à un idéal d'État-providence. Puisque chacun a un droit naturel à une part égale de la terre, un impôt sur la propriété foncière servirait à compenser le préjudice subi par chaque citoyen dépourvu de terre ; à chacun de ces citoyens seront remis, à l’âge de 21 ans, un petit capital et, à partir de 50 ans, une rente annuelle.

5 Révolution industrielle du 19e siècle[modifier | modifier le wikicode]

5.1 Naissance du socialisme moderne[modifier | modifier le wikicode]

Adolph Menzel - Eisenwalzwerk - Google Art Project.jpg

C'est le contexte de la révolution industrielle qui va véritablement engendrer le socialisme moderne, en tant que mouvement de masse. Car en entraînant à marche forcée l'humanité dans un nouveau mode de production, le capitalisme, elle va créer un ensemble de facteurs convergents :

L'héritage d'anciennes corporations, amicales ou du compagnonnage a joué un rôle dans la culture de la solidarité, mais a aussi été une source de corporatisme et de passéisme. Les mouvements ouvriers et socialistes ont aussi été fortement marqué par des formes de christianisme social.

Friedrich Engels définissait le socialisme moderne comme l’expression d’une double prise de conscience :

  1. Des conflits existant entre la classe des possédants et celle des non possédants dans la société capitaliste.
  2. De l’irrationalité qui règne dans la production capitaliste, plus productive et pourtant plus inégalitaire que jamais.

Dès ses débuts, il se rattache, comme continuation et développement, aux idées des philosophes des Lumières notamment celles des philosophes matérialistes du 18e siècle. Mais cette infrastructure favorable au socialisme ne signifie pas automatiquement émergence d'un mouvement ayant une analyse scientifique et une stratégie claire. Le 19e siècle a vu progressivement des clarifications se dégager, mais cela a beaucoup reculé au 20e siècle.

On peut noter qu'au 19e siècle, les différents courants du socialisme sont essentiellement nommés par rapport à des fondateurs : saint-simonisme, fouriérisme, blanquisme, lassallisme, bakounisme, marxisme... A la fin du 19e siècle, quand le mouvement social-démocrate de masse apparaît, on parle surtout d'un mouvement « socialiste » (qui a l'air plus unifié qu'il ne l'est réellement), même si le marxisme est de fait dominant en son sein. A partir du 20e siècle, le socialisme se fragmente, et d'autres adjectifs émergent pour désigner les tendances au sein du marxisme : révisionnisme, économisme, réformisme, maximalisme...

5.2 Premiers socialistes et communistes[modifier | modifier le wikicode]

5.2.1 Angleterre[modifier | modifier le wikicode]

Owen fut le premier socialiste à proprement parler en Angleterre

Lorsque le terme de socialisme commence à être employé en Angleterre, dans les années 1830, il est synonyme de owenisme. Robert Owen était à la fois un des premiers industriels à succès, et un homme sincèrement préoccupé de la question sociale. A la tête de la principale filature du pays, moderne et rentable, il réinvestit les profits pour améliorer les conditions de vie et de travail de ses ouvrier·ères. Mais il ne veut pas se limiter à son usine, il voit le système actuel comme « le plus antisocial, le plus malvenu, le plus irrationnel qui se puisse concevoir ». Il cherche alors à promouvoir des communautés idéales, et lui et ses partisans essaieront à plusieurs reprises de passer à la pratique, en Angleterre et aux États-Unis. Cette quête des entreprises idéales faisant tâche d'huile, mais qui en fait connaîtront toutes l'échec, fait d'Owen un des représentants de ce qui sera appelé a posteriori le socialisme utopique.

Vers 1811 apparaît un mouvement d'ouvriers (« luddites ») qui détruisent clandestinement des machines, dont l'introduction provoque une brutale dégradation sociale (chômage, déqualification et baisse des salaires...). La peur de mouvements clandestins et donc trop explosifs pousse l'État à autoriser les syndicats en 1824. Des « trades unions » commencent alors à se former. Mais ils sont encore surtout limités à des ouvriers qualifiés, défendant leurs traditions.

En majorité, le socialisme n'a pas réussi à se lier au mouvement ouvrier. L'exception fut entre 1828 et 1834, où Owen devint une sorte de guide spirituel. Owen ou des militants oweniens encourageaient les coopératives et les syndicats, essayant de les unifier au plan national, pour lutter plus efficacement mais aussi dans l'objectif de socialiser l'économie.

5.2.2 France[modifier | modifier le wikicode]

Blanqui, toujours en train de conspirer pour prendre le pouvoir, passa la plupart de sa vie en prison

En France, le foisonnement d'écoles socialistes fut particulièrement important. D'abord les grands utopistes. Saint-Simon exaltait l'industrialisation et y voyait l'abondance pour tous à portée de main, à condition que les « industriels » l'emportent sur l'aristocratie terrienne « oisive », et que la production soit stimulée par le crédit, une planification efficace... Il ne voyait pas d'opposition majeure entre patrons et ouvriers. Fourier fut un écrivain prolixe contre la société bourgeoise, et défendait un avenir « sociétaire » dans lequel le travail serait fait en commun et ne serait plus aliéné. Pour lui le moyen d'y parvenir serait la mise en place de communautés de vie et de travail bien organisées (phalanstères), qui montreraient l'exemple et feraient tâche d'huile.

Blanqui était un républicain visant le communisme. Mais sa stratégie était celle d'une insurrection de quelques hommes bien préparés, mettant en place une dictature transitoire au nom du peuple. Louis Blanc était également un républicain, beaucoup plus modéré, qui visait une généralisation graduelle et pacifique des associations ouvrières avec le soutien initial de l'État. A la faveur de la Révolution de 1848, il parvient à être nommé à la tête d'une « commission pour les travailleurs » (quasiment sans moyens). Proudhon se fait connaître par une critique radicale de la propriété (« la propriété, c'est le vol »), mais a vite limité sa critique à l'État, tandis qu'il prônait une société de petits propriétaires.

Ces penseurs inspirèrent des disciples relativement nombreux (sans se lier réellement au mouvement ouvrier qui naissait), mais leur stratégie connut l'impasse. Les saint-simoniens devinrent soit des bourgeois soit évoluèrent vers des positions plus socialistes. Les fouriéristes et autres partisans de communautés (Considerant, Cabet...) firent plusieurs tentatives, mais leurs colonies idéales ont toutes sombré (ou perdu tout idéalisme) au lui de faire tâche d'huile. Blanqui, manquant d'implantation de masse, échoua dans ses coups d'État et passa la plupart de sa vie en prison. Proudhon eut une influence assez durable sur un monde ouvrier encore très artisanal, mais avec l'industrialisation, ses idées finirent par disparaître au profit des visions collectivistes du socialisme.

Progressivement, les socialistes issus de ces différents courants se mélangent, s'harmonisent, se lient au mouvement ouvrier. Vers la fin du 19e siècle, c'est le marxisme qui commence à être considéré comme la théorie et la stratégie adaptée au socialisme.

5.2.3 Allemagne[modifier | modifier le wikicode]

Marx et Engels ont eu un rôle décisif dans le socialisme moderne.

En Allemagne le développement du socialisme fut plus tardif par rapport à la France et à l'Angleterre, en lien avec l'industrialisation plus tardive. En revanche, la pensée philosophique s'y développa abondamment, et chercha activement à aboutir à des systèmes décrivant l'évolution du monde contemporain. C'est cet esprit de système, en particulier celui de Hegel, qui inspira les premiers intellectuels socialistes allemands, dont Marx et Engels. Ceux-ci ont joué un rôle dans les débuts de l'activisme socialiste lors de la révolution de 1848, mais le socialisme est alors très minoritaire. Puis, au cours des années 1870, le mouvement social-démocrate allemand se renforce et se lie organiquement lié à la classe ouvrière, notamment du fait des efforts de l'ADAV de Lassalle, et du SDAP de Bebel et Liebknecht. Ces deux forces fusionnent en 1875 dans le SPD, qui devient vite le plus puissant parti socialiste du monde, et qui se reconnaît dans le marxisme.

Vers la fin du 19e siècle, le sérieux et la fécondité du marxisme est reconnu dans une majorité de mouvements socialistes dans le monde.

5.3 Le socialisme scientifique[modifier | modifier le wikicode]

Marx et Engels, tout en reconnaissant pour leur propre vision du monde l’importance de l’œuvre passée des utopistes et de leurs critiques impitoyables du capitalisme, ont développé des analyses (matérialisme historique) et une vision stratégique essentielles pour le socialisme moderne. Le socialisme n'est plus une vision rêvée subjective, mais un stade de la société possible à atteindre sur la base des conditions héritées du capitalisme (industrie efficace, classe ouvrière aux intérêts communs...) et de ses contradictions (crises, révoltes contre l'exploitation...). Le moyen d'aller vers le socialisme n'est plus le prêche moralisateur ou le volontarisme insurrectionnel, mais l'accroissement de l'auto-organisation des prolétaires, jusqu'à la révolution socialiste, c'est-à-dire la prise du pouvoir politique et économique par la classe majoritaire et exploitée.

5.4 Synthèses extra-européennes[modifier | modifier le wikicode]

Le terme de socialisme et ses variantes (communisme, anarchisme...) se sont répandus dans le reste de l'Europe vers le reste du monde à partir du 19e siècle, à mesure que le capitalisme européen se répandait dans le monde.

Mais si l'essentiel des idées du socialisme contemporain provient de théoriciens et de traditions philosophiques européennes, dans certains autres pays, les premières préoccupations ont aussi puisé dans des courants d'idées (philosophiques, religieux...) locaux (notamment les notions d'âge d'or), réinterprétés à la lumière des nouvelles préoccupations.

C'est ainsi que le socialisme japonais a par exemple puisé à la fois son inspiration des idées européennes, et de certains penseurs confucianistes revisités.

En Chine, le concept confucéen de Datong a été abondamment cité. Sun Yat-sen, leader socialisant du parti nationaliste (Kuomintang), écrivait :

Quand le peuple aura tout mis en commun au sujet de l’État, on aura vraiment réalisé l'objectif du « bien-être du peuple » ; on aura réalisé ce monde de datong souhaité par Confucius. (Trois principes du peuple, quatorzième leçon.) La nouvelle culture européenne, l'anarchisme et le communisme, dont on parle tant aujourd'hui, ce sont dans notre Chine de vieilles théories qui datent de plusieurs millénaires; ainsi, les théories de Huangdi et de Laozi (deux « Pères » taoïstes) sont de l'anarchisme, et le royaume de Huaxushi, duquel Liezi dit que ses habitants n'ont ni chef ni loi, c'est l'état de nature pur, n'est-ce pas de l'anarchisme? (Ibid., quatrième leçon.)

En revanche, les traditions orientales « présocialistes » ont pu être utilisées, surtout au 20e siècle, comme une machine de guerre contre le socialisme marxiste, auquel était opposé un socialisme plus enraciné et religieux. Une telle utilisation a été importante dans les pays d'Islam (par exemple le « socialisme islamique » de l'Algérien Tijani, d'inspiration directement antimarxiste) et dans les pays bouddhiques du « Petit Véhicule », dans l'Asie du Sud-Est, en particulier en Birmanie et au Cambodge.

6 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. Paul Lafargue, La propriété - Origine et évolution, 1890
  2. Diderot, Principes de la philosophie morale,1745
  3. Helvétius, De l’homme, 1772
  4. Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l'éducation, 1762
  5. LICHTENBERGER (A.), Le socialisme au dix-huitième siècle. Essai sur les idées socialistes dans les écrivains français du dix-huitième siècle, avant la Révolution, Paris, 1895.
  6. DUCHET (M.), Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, Paris, 1971.
  7. RIHS (C.), Les philosophes utopistes. Le mythe de la cité communautaire en France au dix-huitième siècle, Paris, 1970.
  8. VAN WIJNGARDEN, Les odyssées philosophiques en France entre 1616 et 1789, Amsterdam, 1932.
  9. Jacques Pierre Brissot, Recherches philosophiques sur le droit de propriété et sur le vol considérés dans la nature et dans la société, 1780
  10. Jean-Louis Carra, Système de la raison ou le prophète philosophe, 1782
  11. Jean-Paul Marat, Plan de législation criminelle, 1780
  12. Joseph Saige, Catéchisme du citoyen, 1788
  13. Olympe de Gouge, Le bonheur primitif de l’homme ou les rêveries patriotiques, 1789
  14. Jean-François Lambert, Précis de vues générales en faveur de ceux qui n’ont rien, 1789
  15. Louis-Alexandre Duwicquet d'Ordre, La vie et les doléances d’un pauvre diable pour servir de ce qu’on voudra aux prochains états généraux, 1789
  16. Dufourny de Villiers, Cahier du quatrième ordre, celui des pauvres journaliers, des infirmes, des indigents, etc., de l’ordre sacré des infortunés, 1789
  17. Restif de La Bretonne, Le plus fort des pamphlets. L’ordre des paysans aux états généraux, 1789
  18. Anonyme, Nécessité et moyens d’établir une loi agraire, d’assurer la subsistance des pauvres, de réformer le clergé et la constitution militaire, 1789
  19. Restif de La Bretonne, Le thesmographe, 1789