Syndicats en Russie

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Grévistes devant l'usine Poutilov en 1905

Cette page traite principalement de la naissance des syndicats en Russie et de leur rôle dans la Révolution de 1917 et dans le nouveau régime.

1 Naissance des syndicats ouvriers russes[modifier | modifier le wikicode]

Contrairement aux pays occidentaux où les libertés démocratiques ont été conquises progressivement, en même temps que le développement de la classe ouvrière, les syndicats étaient sous l'Empire tsariste quasiment aussi réprimés que le parti social-démocrate.

Une exception était le mouvement ouvrier en Pologne, qui ressemblait déjà à un mouvement de masse. En mai 1891, il y eut une vague de grèves affectant de nombreuses villes polonaises, qui atteignirent un point culminant l’année suivante avec une grève générale à Łódź. Les militants juifs (qui allaient former bientôt le Bund) étaient encore plus efficaces dans l’agitation. Dans des régions d’importante population juive, les grèves devinrent très fréquentes, atteignant leur summum en 1895 avec la grève de l’industrie textile de Białystok, dans laquelle près de 15.000 ouvriers étaient impliqués. En fait, les ouvriers juifs étaient très en avance sur leurs homologues russes sur le plan de l’organisation syndicale. Alors qu’en 1907, 7 % seulement des ouvriers de Saint-Pétersbourg étaient syndiqués[1], 20 % des ouvriers juifs de Białystok étaient organisés, 24 % à Vilna, 40 % à Gomel, et 25-40 % à Minsk.[2]

2 La révolution de 1905[modifier | modifier le wikicode]

En réaction à l'agitation des révolutionnaires, la police tsariste avait développé un nouveau type de mouvement syndical et coopérativiste sous son contrôle. On parlait de zoubatovisme, du nom de Zoubatov, chef de la police à Moscou. Mais les plans de la police ne donnèrent pas les résultats escomptés. Les ouvriers se servirent des organisations légales de Zoubatov pour organiser des grèves et exprimer leurs revendications.

En particulier, le syndicat policier de Saint-Pétersbourg s’appelait « l’Assemblée des Ouvriers Russes des Usines et des Ateliers. » Il avait des sections dans tous les districts de la capitale et organisait l’entraide et des activités culturelles, éducatives et religieuses. Il était dirigé par le pope orthodoxe Gueorgui Gapone. Or celui-ci va jouer un rôle de de déclencheur dans les événements révolutionnaires.

Les social-démocrates étaient complètement isolés de ce mouvement qui les a surpris. Cependant les menchéviks y sont assez rapidement intervenus, ce que les bolchéviks voyaient comme de l'opportunisme. Lénine poussait au contraire ses militants à aller vers les masses.

De façon plus générale, l’effervescence de 1905 entraîne la création de syndicats, auxquels participent les menchéviks, tandis que les bolchéviks les critiquent. Goussev proposa lors d’une réunion du comité bolchevik d’Odessa, en septembre 1905, que les bolcheviks soient guidés par les règles suivantes :

Dénoncer dans notre propagande et notre agitation toutes les illusions sur les syndicats, en mettant spécialement l’accent sur leur étroitesse en comparaison avec les buts ultimes du mouvement ouvrier.

Clarifier auprès du prolétariat l’idée que développement large et stable du mouvement syndical est impensable sous un régime autocratique, et qu’un tel développement exige comme préalable le renversement de l’autocratie tsariste.

Mettre fortement l’accent, dans la propagande et l’agitation, sur le fait la tâche primordiale, absolument vitale, du prolétariat en lutte est de se préparer immédiatement à un soulèvement armé pour renverser l’autocratie tsariste et instaurer une république démocratique.

Mettre en œuvre une lutte idéologique énergique contre les soi-disant mencheviks, qui en reviennent, sur la question des syndicats, au point de vue étroit et erroné des Economistes, qui rabaisse les tâches de la social-démocratie et retient l’offensive du mouvement prolétarien.

Utiliser tous les moyens pour asseoir l’influence et, si possible, la direction social-démocrate de tous les syndicats légaux ou illégaux, en train de naître ou déjà existants.[3]

Malgré des critiques, Goussev fit adopter la résolution à l’unanimité et l'envoya à Lénine à Genève. Mais Lénine répondit le 3 septembre 1905 qu’elle était « gravement erronée » :

A mon avis, d’une manière générale, il faut éviter d’aggraver la lutte contre les mencheviks sur cette question. A présent, probablement, les syndicats vont justement commencer à éclore. Nous ne devons pas nous tenir à l’écart, et surtout pas donner l’occasion de penser qu’il faut se tenir à l’écart, mais nous mettre à participer, à influencer, etc… Il est important que dès le départ les social-démocrates russes fassent résonner la note juste en ce qui concerne les syndicats, et créent tout de suite une tradition d’initiative sur cette question, de participation , de direction social-démocrate.[4]

Lénine formula quelques mois plus tard une résolution dans le même esprit pour le 4e congrès du POSDR.

Les premiers syndicats un peu stables et de quelque importance se sont formés à partir de 1905. Par exemple le syndicat des métallurgistes joue un rôle important dans la révolution de 1905. Environ 7 % des ouvriers (45.555 en chiffres absolus) étaient syndiqués.[5] Les syndicats existants étaient minuscules. Sur un total d’environ 600 syndicats, 349 avaient moins de 100 membres chacun ; 108 avaient des effectifs allant de 100 à 300 ; le nombre de syndicats ayant plus de 2.000 membres était de 22.

Pendant la période de réaction (1908-1909), ils cessèrent tout simplement d’exister. Dans les années suivantes, ils se rétablirent, mais seulement de façon limitée. Les syndicats nationaux n’existaient pas. Les rares syndicats locaux existants avaient des effectifs totaux qui ne dépassaient pas 20.000 — 30.000 membres dans tout le pays.[6]

3 Essor des années 1912-1914[modifier | modifier le wikicode]

A partir de 1912, les luttes ouvrières étaient en plein essor. Les syndicats étaient encore peu nombreux et avaient peu de liberté, mais commençaient à se développer, et les bolchéviks y devinrent aussitôt majoritaires (comme dans les caisses d'assurance maladie). En très peu de temps, autour de la Pravda et de leurs députés, ils eurent une influence de masse.

Le 21 avril 1913 eurent lieu les élections à l’exécutif du syndicat des ouvriers métallurgistes de Saint-Pétersbourg. Dix des 14 membres élus appartenaient à la liste de la Pravda, c’est-à-dire étaient des partisans des bolcheviks. Le 22 août 1913, une nouvelle élection eut lieu pour l’exécutif du même syndicat. La réunion à laquelle l’élection fut tenue comptait 3.000 métallos. La liste bolchevique fut adoptée à une énorme majorité, avec seulement 150 votants pour la liste parrainée par les mencheviks.

En juin 1914, Lénine pouvait rapporter que des 18 syndicats existant à Saint-Pétersbourg, les bolcheviks en contrôlaient 14, les mencheviks trois, et dans un syndicat les deux partis avaient un nombre égal de supporters :

« A Moscou, sur 13 syndicats, 10 sont partisans de la Pravda et trois n’ont pas encore pris position, mais sont proches des partisans de la Pravda. Pas un seul syndicat liquidateur ou populiste. »[7]

Il soulignait, face à ceux qui se lamentaient sur la division de la social-démocratie en Russie, que malgré les petits groupes morcelés dans l'émigration, le mouvement ouvrier et syndical n'était pas divisé, mais dominé par les bolchéviks.[8]

4 Les syndicats en 1917[modifier | modifier le wikicode]

4.1 Emergence de syndicats d'abord faibles[modifier | modifier le wikicode]

Après la révolution de Février, la répression tsariste s'effondre, et les masses populaires s'organisent partout dans tous types de structures, dont des syndicats ouvriers. Mais les soviets et les comités d’usine sont d'emblée plus représentatifs et épousent bien mieux l'auto-activité des masses. Si bien que les syndicats n’ont joué dans les événements de 1917 qu’un rôle secondaire, même lorsqu’ils étaient puissants comme le syndicat des métallurgistes de Pétrograd, fort de 200 000 membres. Ils étaient fortement politisés et largement dominés par les social-démocrates.

Au lendemain de la révolution de Février, les syndicats ont donc assez largement accepté la direction politique des soviets, comme la majorité de la classe ouvrière. Des frictions existaient néanmoins[9]. À Moscou, la première réunion organisationnelle de l’Union des syndicats se tient le 2 mars avec les représentants de 25 unions syndicales et deux représentants du comité du parti SD de Moscou. Les syndicats décident d'accepter la subordination au Soviet seulement si celui-ci pratique une politique « internationaliste » (par opposition aux défensistes). Ils proposaient même de n’élire au Soviet que des internationalistes. Lors de la réunion suivante des syndicats de Moscou, il est décidé concernant le rapport avec les partis :

« En ce qui concerne l’attitude vis-à-vis des partis socialistes, il a été décidé que, formellement, les syndicats sont indépendants des partis (bes-partii). Ils doivent se trouver en pleine union, tant du point de vue organisationnel que du point de vue de leur plate-forme, avec les partis qui se placent sur le terrain de la lutte des classes. En ce qui concerne les partis bourgeois, le syndicat juge leur conduite ambiguë, les considère comme des ennemis politiques de la classe ouvrière et juge indispensable que les syndicats démarquent nettement leur ligne politique de la leur, les soutenant seulement quand leurs exigences coïncident avec les exigences de la classe ouvrière. »

Un autre exemple de conflit fut lorsque le Soviet de Simbirsk (qui avait émané des comités d’usine) voulut prendre le contrôle du syndicat du textile et nommer une autre direction, au nom du fait que l'ancienne direction aurait eu des liens avec la Douma d'État et avaient des pratiques non démocratiques. En réaction, les ouvriers d'une usine votèrent une protestation, réaffirmant que « dans les institutions démocratiques il y a, à l’origine, l’élection ; la nomination d’une Direction viole les principes démocratiques élémentaires [et que] c’est l’assemblée qui contrôle la Direction, (...) tout autre contrôle est une gifle à l’assemblée ».[9]

L’anarcho-syndicaliste Voline souligne : « quant au syndicalisme, aucun mouvement ouvrier n’ayant existé en Russie avant la Révolution de 1917, la conception syndicaliste – quelques intellectuels érudits mis à part – y était totalement inconnue (…) cette forme russe d’une organisation ouvrière, le "Soviet", fut hâtivement trouvée en 1905 et reprise en 1917, justement à cause de l’absence de l’idée et du mouvement syndicalistes ». Voline ajoute que « sans aucun doute, si le mécanisme syndical avait existé, c’est lui qui aurait pris en mains le mouvement ouvrier. »[10]

Isaac Deutscher décrivait ainsi la faiblesse relative du syndicalisme en 1917 :

« Pendant les premiers mois de 1917, le nombre des adhérents (des syndicats) passa de quelques milliers à un million et demi (...). Mais le rôle qu'ils jouèrent fut sans rapport avec leur force numérique (...). Les grèves de 1917 n'eurent jamais l'envergure et la force de celles de 1905 (...). L'effrondrement économique de la Russie, l'inflation galopante, la rareté des biens de consommation, etc., faisaient que la lutte pour les revendications « économiques » immédiates habituelles semblait très peu réaliste. Si on y ajoute la menace de mobilisation suspendue au-dessus de la tête de tout gréviste éventuel, on comprend que la classe ouvrière ne fut pas disposée à lutter pour des avantages économiques limités et des réformes partielles. Ce qui était en jeu, c'était l'ordre social russe dans son ensemble »[11]

La Troisième Conférence Panrusse des Syndicats se tient à Petrograd les 20-28 juin. Elle adopta une résolution qui stipulait que « les syndicats défendent les droits et les intérêts de la classe ouvrière (...) et ne peuvent donc assumer des fonctions administratives et économiques dans la production ». Quant aux Comités d'usine, leur seul rôle était de vérifier « que les lois pour la défense des travailleurs et les conventions collectives conclues par les syndicats étaient respectées ». Les Comités d'usine devaient lutter pour l'entrée de tous les travailleurs de l'entreprise dans les syndicats. Ils devaient aussi « travailler pour renforcer et développer les syndicats, contribuer à l'unité dans leur lutte » et « renforcer l'autorité des syndicats aux yeux des travailleurs inorganisés ». La Conférence créa un Conseil Panrusse des Syndicats, dont les représentants furent élus proportionnellement à la force numérique des diverses tendances politiques en présence à la Conférence. Les menchéviks et SR qui dominaient insistaient pour que les Comités soient élus sur la base de listes présentées par les syndicats. Les thèses bolcheviques, présentées à la conférence par Glebov-Avilov, proposaient la création et le rattachement à l'administration centrale des syndicats de « commissions de contrôle économique », composées de membres des Comités d'usine.

4.2 Majorité bolchévique et résistances[modifier | modifier le wikicode]

Les bolchéviks gagnent la majorité dans les syndicats un peu avant octobre, en même temps que dans la majorité des soviets. Les syndicats de certains secteurs, souvent avantagés par rapport à la majorité de la classe ouvrière, restèrent hostiles aux bolchéviks, comme dans les postes, l’industrie du cuir, chez les employés, cadres et fonctionnaires, et chez les cheminots.

Le Vikjel, Comité exécutif pan-russe du syndicat des travailleurs du rail, l’une des plus fortes organisations syndicales, représentait un secteur très imprégné de ses particularités corporatives et qui, par rapport aux ouvriers d’usine, constituait une sorte d’« aristocratie ouvrière ».

La direction du Vikjel est notamment connue pour sa tentative conciliatrice au lendemain de l’insurrection d’Octobre : alliée alors avec l’aile droite de la direction bolchevique (Kamenev, Zinoviev, Rykov), elle avait tenté d’imposer un gouvernement composé de « toutes les tendances socialistes », c’est-à-dire commun avec celles (mencheviks, socialistes-révolutionnaires de droite) qui ne reconnaissaient pas le pouvoir des soviets et dont certains membres n’allaient pas tarder à œuvrer de concert avec la contre-révolution bourgeoise et impérialiste. Le Vikjel s’est ensuite comporté comme une force d’opposition au nouveau pouvoir soviétique, allant jusqu’à menacer de paralyser le transport des troupes envoyées sur le front des premiers combats avec la contre-révolution.

Le Vikjel était contrôlé par des forces politiques hostiles aux bolcheviks : à l’été 1917, sur ses 40 membres, il y avait 3 bolchéviks, 2 interrayons, 14 SR, 7 mencheviks, 3 troudoviks, et 11 « indépendants » parmi lesquels en réalité beaucoup soutenaient le parti KD.

Un autre syndicat s'opposa radicalement aux bolchéviks, l'Union panrusse des enseignants.[12]

En 1918, avec la guerre civile et les tensions avec le patronat, la direction bolchévique décida que « les tâches qui définissaient la spécificité du mouvement syndical demeuraient actuelles ». Ce point de vue avait été défendu par des mencheviks, il le fut ensuite par des bolcheviks, Lénine reprenant sur ce point, contre Trotski, les thèses de Martov.

5 Les syndicats sous le pouvoir bolchévik[modifier | modifier le wikicode]

5.1 État et syndicats contre comités d'usine[modifier | modifier le wikicode]

Le pouvoir bolchévik tente dès le lendemain d'Octobre de centraliser la prise de décision en matière économique. Malgré des premières mesures comme le décret sur le contrôle ouvrier, par lequel Lénine en particulier souhaite encourager la participation ouvrière, les bolchéviks ont vite considéré que puisque le nouveau régime était l’expression de la volonté générale de la classe ouvrière, les syndicats devaient être subordonnés aux organes centraux (Vesenkha, commissariat du peuple au Travail...) de l'État ouvrier.

Losovski, un syndicaliste bolchevik, estimait que « les activités des organes de base du contrôle doivent respecter les limites établies par les directives du Conseil panrusse du contrôle ouvrier. Nous devons le dire clairement et catégoriquement,afin que les ouvriers, dans chaque entreprise, ne croient pas que l'entreprise leur appartient ».[13]

La priorité des bolchéviks fut d'abord de canaliser les initiatives des comités d'usine, et ils s'appuyèrent pour cela sur les syndicats, devenus, selon l'historien Edward Hallett Carr, « des champions inattendus de l'ordre, de la discipline et de la direction centralisée de la production »[14]. D'autant plus que les syndicats étaient fortement politisés et ont fait barrage aux premières tentatives de l'État de les restreindre à la « sphère économique ». Ainsi le 20 décembre 1917, les syndicats refusent d’être écartés des problèmes politiques du prolétariat.

Un exemple des conflits entre comités d'usine et organes supérieurs était la socialisation spontanée mise en place dans certaines usines, alors que l'État bolchévik chercha d'abord à rassurer les investisseurs potentiels. La direction syndicale s’associait aux décisions prises par le gouvernement qui sélectionnait les types d’entreprise à nationaliser ou non, la forme de la direction (prônant une direction unipersonelle et non collégiale). En échange elle pouvait s’appuyer sur la loi qui déclarait obligatoires les décisions de la direction syndicale, mettant hors la loi les syndicats particuliers qui n’obéissaient pas.

Le 28 novembre 1917 se réunit le Conseil pan-russe du contrôle ouvrier, qui décide de subordonner les comités d'usine aux syndicats.

Le premier congrès pan-russe des syndicats se réunit les 7-11 janvier 1918, avec des délégués bolcheviks, mencheviks, SR et anarcho-syndicalistes. La perspective annoncée est claire : «  le contrôle ouvrier doit éliminer l'autocratie dans le domaine économique, comme elle a déjà été éliminée dans le domaine politique ». Cependant dans la pratique de profonds clivages apparaissent très vite. Deux thèmes principaux allaient dominer le Congrès. Quels devaient être les rapports entre les Comités d'usine et les syndicats ? Et quels devaient être les rapports entre les syndicats et le nouvel État russe ?

Selon Lozovsky, « les Comités d'usine étaient à ce point maîtres des lieux qu'ils étaient, trois mois après la révolution, dans une grande mesure indépendants par rapport aux organes de contrôle »[15]. Maïski, encore menchevik à l'époque, disait que d'après son expérience « ce n'était pas quelques prolétaires, mais presque tout le prolétariat, spécialement à Pétrograd, qui considérait le contrôle ouvrier comme l'avènement du royaume du socialisme ». Il se plaignait de ce que parmi les travailleurs, « l'idée même du socialisme était incarnée par le concept du contrôle ouvrier ». Un autre délégué menchevik déplora « que sous le couvert des Comités d'usine et du contrôle ouvrier, une vogue d'anarchisme déferle sur notre mouvement ouvrier russe ». Riazanov pressa les Comités d'usine « de se suicider et de se transformer totalement en éléments de la structure des syndicats ».

La majorité bolchévique défend (avec les menchéviks) une subordination et une intégration des comités d'usine dans l'appareil syndical (une force jugée « plus stable » et « moins anarchique »), et combat les interprétations autogestionnaires du contrôle ouvrier. Il est affirmé que « pour que le contrôle ouvrier puisse apporter le maximum d’avantages au prolétariat, il est nécessaire de rejeter une fois pour toutes toute idée d’éparpiller ce contrôle en donnant aux ouvriers des entreprises le droit de prendre des décisions ayant valeur opératoire sur des questions qui affectent la vie même de leur entreprise ». Les comités d’usine doivent opérer sur « la base d’un plan général formulé par les instances supérieures du contrôle ouvrier et les organes qui décident de l’organisation de l’économie ». Enfin, il faut rendre « clair à leurs délégués le fait que le contrôle ne signifie pas le transfert de l’entreprise aux ouvriers, le contrôle ouvrier n’étant que le premier pas vers la socialisation ».

Des anarcho-syndicalistes dénonçaient alors la politique gouvernementale qui trahissait « la classe ouvrière en supprimant le contrôle ouvrier pour lui substituer la direction unique de l’entreprise, abandonnant les comités d’usine, enfants chéris de la révolution, pour le syndicat qui édictait décrets et sanctions en guise de démocratie dans l’industrie ».[9] Maximov déclara que lui et ses camarades anarcho-syndicalistes étaient de « meilleurs marxistes » que les mencheviks ou les bolcheviks, déclaration qui causa une grande agitation dans la salle. Il soutenait que « les Comités d'usine, organisations introduites directement par la vie même, au cours de la révolution, étaient les organisation les plus proches de la classe ouvrière, beaucoup plus proches que les syndicats ». Les syndicats « qui correspondaient aux vieux rapports économiques de l'époque tsariste, avaient fait leur temps et ne pouvaient entreprendre cette tâche ». « Le but du prolétariat était de coordonner toutes les activités, tous les intérêts locaux, de créer un centre, mais pas un centre de décrets et d'ordonnances, un centre, au contraire, de coordination, d'orientation — et seulement un centre de ce genre pouvait organiser la vie industrielle du pays ». Bill Chatov traita les syndicats de « cadavres ambulants » et appela la classe ouvrière à « s'organiser localement, et à créer une Russie libre et nouvelle, sans Dieu, sans Tsar et sans chefs dans les syndicats ».

La résolution des anarcho-syndicalistes, réclamant « un véritable contrôle ouvrier, et non pas un contrôle ouvrier étatique », et demandant que « l'organisation de la production, des transports et de la distribution soit immédiatement transférée entre les mains des travailleurs eux-mêmes et non aux mains de l'État ou à quelque appareil de fonctionnaires, composé de membres de la classe ennemie », fut repoussée. Les anarcho-syndicalistes, qui étaient surtout implantés chez les mineurs du district de Debaltzef dans le bassin du Don, parmi les travailleurs des chantiers navals et les travailleurs du ciment de Ekaterinodar et de Novorossiysk et parmi les cheminots de Moscou, avaient 25 délégués au Congrès (sur la base d'un délégué pour 3000-3500 membres).

Parlant au nom des Comités d'usine, un travailleur de la base, Belusov, attaqua violemment les dirigeants du Parti, qui critiquaient continuellement les Comités « parce qu'ils n'agissaient pas conformément aux règlements » mais étaient eux-mêmes incapables de présenter un quelconque plan cohérent. Ils ne savaient que parler. « Tout cela paralyse le travail local. Devons-nous rester tranquilles à l'échelon local à attendre et ne rien faire ? Ce serait certainement la seule façon de ne pas commettre d'erreurs. Seuls ceux qui ne font rien ne commettent pas d'erreurs ». Un véritable contrôle ouvrier était la solution à la désintégration économique de la Russie. « La seule façon de s'en sortir qui reste aux ouvriers, c'est qu'ils prennent eux-mêmes en mains les usines et qu'ils les dirigent ».

Les bolchéviks demandèrent que « les organisations syndicales, en tant qu'organisations de classe du prolétariat sur une base d'industrie, assument la tâche essentielle de l'organisation de la production et du rétablissement des forces productives, si affaiblies, du pays ». Les mencheviks et les SR votèrent avec les bolcheviks une résolution proclamant que « la centralisation du contrôle ouvrier était l'affaire des syndicats ». Le contrôle ouvrier était défini comme « l'instrument par lequel le plan économique général doit être réalisé localement ». La résolution propose un nouveau fonctionnement du contrôle ouvrier, censé fusionner syndicats et comités d'usine : chaque usine doit avoir des commissions de contrôle ouvrier, composées de représentants du syndicat de la branche correspondante, et de représentants de l'assemblée générale des travailleurs (prenant de fait la place de l'ancien comité d'usine), ces derniers devant être validés par une commission du syndicat. Les représentants de l'AG doivent être renouvelés régulièrement (contrairement aux représentants syndicaux), ce qui est justifié par le but d'entraîner le maximum de travailleurs à la gestion.

Les 15-21 janvier a lieu le premier congrès pan-russe des travailleurs du textile, à Moscou. A majorité bolchevik, le Congrès déclara que « le contrôle ouvrier n'était qu'un stade transitoire vers l'organisation planifiée de la production et de la distribution »[16]. Le syndicat adopta de nouveaux statuts proclamant que « la cellule de base du syndicat est le Comité d'usine, qui a pour mission d'appliquer, dans chaque entreprise, toutes les décisions du syndicat ». On agita aussi la trique. S'adressant au Congrès, Lozovski déclara que « si le « patriotisme » local de certaines usines entre en conflit avec les intérêts du prolétariat dans son ensemble, nous affirmons résolument que nous ne reculerons devant aucune mesure pour supprimer les tendances pernicieuses pour les travailleurs ».

5.2 Intégration des directions syndicales[modifier | modifier le wikicode]

Mais en parallèle de la limitation des pouvoirs des comités d’usine, qui accroit relativement celui des syndicats, l’État cherche à contrôler de plus en plus étroitement les syndicats pour les transformer en courroie de transmission.

Ce point fut déjà évoqué lors du premier congrès pan-russe des syndicats déjà évoqué (7-11 janvier 1918). La majorité des bolchéviks (mais ceux-ci étaient plus divisés sur cette question) soutenaient la subordination des syndicats, mais des concessions sont alors faites sur ce terrain-là, la centralisation commençant par les échelons les plus bas et indisciplinés.

Les mencheviks, qui prétendaient que la révolution ne pouvait conduire qu'à une république démocratique — bourgeoise, insistaient sur l'autonomie des syndicats vis-à-vis du nouvel État russe. Maïski déclara que « si le capitalisme reste intact, les tâches auxquelles les syndicats sont confrontés sous le capitalisme restent inchangées ». Martov (menchévik de gauche) présenta un point de vue plus subtil : « Dans la situation historique présente le gouvernement ne peut pas représenter uniquement la classe ouvrière. Il ne peut être qu'une administration de facto liée à une masse hétérogène de travailleurs, aussi bien des prolétaires que des non prolétaires. Il ne peut donc appliquer une politique économique qui représente de façon cohérente et ouverte les intérêts de la classe ouvrière », contrairement aux syndicats qui devaient donc conserver une certaine indépendance.

Le point de vue bolchevik, soutenu par Lénine et Trotski, et présenté par Zinoviev, était que les syndicats devaient être sinon complètement intégrés, du moins subordonnés au gouvernement. L'idée de la neutralité des syndicats fut qualifiée officiellement d'idée « bourgeoise », donc tout à fait anormale dans un État ouvrier. La résolution adoptée par le Congrès exprimait clairement ces idées :

« Les syndicats devront se charger du lourd fardeau de l'organisation de la production et du redressement des forces économiques détruites du pays. Leurs tâches les plus urgentes, c'est leur participation énergique à tous les organes centraux de régulation de la production, l'organisation du contrôle ouvrier (sic !), le recensement et la distribution de la force de travail, l'organisation des échanges entre la ville et la campagne (...) — la lutte contre le sabotage et la mise en vigueur des dispositions sur le travail obligatoire (...). En se développant, les syndicats devront, dans le processus de l'actuelle révolution socialiste, devenir des organes de pouvoir socialiste, et comme tels, devront travailler en coordonnant — et subordonnant — leur activité à celle d'autres organes en vue de mettre en pratique les nouveaux principes (...) Le Congrès est convaincu qu'en conséquence, pendant ce processus, les syndicats se transformeront inévitablement en organes de l'État socialiste. La participation à la vie syndicale, doit être pour tous les membres de la population employés dans l'industrie, un devoir vis-à-vis de l'État ».

Tomski abondait dans ce sens en avançant que les « intérêts particuliers de groupes de travailleurs devaient être subordonnés aux intérêts de la classe toute entière ». Zinoviev affirmait que le soutien au droit de grève contre un État ouvrier ne pouvait être que le soutien aux saboteurs. Riazanov répliquait « qu'aussi longtemps que la révolution sociale commencée ici n'aura pas fusionné avec la révolution sociale en Europe et dans le monde entier (...) le prolétariat russe (...) doit être sur ses gardes et ne doit pas renoncer à une seule de ses armes (...), il doit maintenir son organisation syndicale ». Tsyperovitch, un important syndicaliste bolchevik, proposa que le Congrès ratifie le droit des syndicats de continuer à avoir recours à la grève pour la défense de leurs membres. Une résolution dans ce sens fut cependant repoussée.

Le 3 avril 1918, le Conseil Central des Syndicats publia son premier rapport détaillé sur la fonction du syndicat face aux problèmes de la «  discipline dans le travail » et de «  l'émulation ».[17] Les syndicats «  ne devaient épargner aucun effort pour accroître la productivité du travail, ils devaient créer par conséquent dans les usines et les ateliers les bases indispensables au travail discipliné ». Chaque syndicat devait établir une commission « pour fixer les normes de productivité pour chaque secteur et chaque catégorie de travailleurs ». L'utilisation du travail aux pièces «  pour élever la productivité du travail » était admise. On affirmait que «  les primes de productivité, lorsque la norme établie était dépassée, pouvaient, dans certaines limites, être une mesure utile pour élever la productivité sans épuiser le travailleur ». Enfin, si «  des groupes isolés de travailleurs » refusaient de se soumettre à la discipline syndicale, ils pourraient en dernier ressort être expulsés du syndicat «  avec toutes les conséquences qui en découlent ».

Le 28 septembre 1918, Tomski déclare au Premier Congrès Panrusse des Cheminots Communistes : «  La tâche des communistes a été : premièrement, de créer des syndicats solides dans leurs industries respectives ; deuxièmement, de s'emparer de la direction de ces organisations par un travail tenace ; troisièmement, de rester à la tête de ces organisations ; quatrièmement, d'expulser tout groupe non prolétarien ; cinquièmement, de soumettre les syndicats à notre propre influence communiste »[18]

Au sein des syndicats, les rapports entre base et sommet étaient de plus en plus bureaucratiques. En pratique, plus les syndicats assumaient les fonctions administratives d'une bureaucratie gestionnaire, plus ils devenaient bureaucratiques eux-mêmes[19].

Début 1919, il y avait 3 500 000 adhérents dans les syndicats. Il y en avait eu 2 600 000 au temps du Premier Congrès des syndicats, en janvier 1918, et 1 500 000 à la Conférence de juillet 1917.[20]

Le 2e congrès pan-russe des syndicats se réunit du 16 au 25 janvier 1919[21]. Un conflit commence à apparaître entre la direction des syndicats, en accord avec le pouvoir, et la base. La résistance qui avait été menée naguère par les comités contre les syndicats se déplaça au sein du mouvement syndical, opposant d’une certaine façon les organisations de base à l’appareil de la direction syndicale. Dans leur motion du 23 janvier 1919, les syndicats commencent par s’aligner sur le texte gouvernemental en parlant eux aussi au passé du contrôle ouvrier. Mais ils font état d’un « conflit latent qui se livre dans le cadre des nouvelles formes organisationnelles que prend la vie économique ». Ils tentaient de maintenir un certain rôle aux syndicats : « Suivre sans doute le travail des gestionnaires, non le précéder », mais en le « supervisant ». Lénine parla de l'«  inévitable étatisation des syndicats », tout en parlant de fonction éducatrice des syndicats vis-à-vis des travailleurs dans l'art de l'administration, et de «  dépérissement de l'État » futur.

À cette session, un texte qui maintenait le droit pour les ouvriers de faire grève était rejeté, au nom du fait que les ouvriers ne peuvent faire grève contre eux-mêmes. Tomski souligna « qu'au moment où les syndicats déterminent les salaires et les conditions de travail, les grèves ne peuvent plus être tolérées. Il est nécessaire de mettre des points sur les i ». Dans le congrès, certains protestèrent contre le fait que le Commissariat au Travail ratifie les délégués élus par les syndicats pour les représenter dans les instances centrales. Ainsi l’ouvrier Perkin :

« Si dans une réunion syndicale nous choisissons un élu, si la classe ouvrière a le droit dans certains cas d’exprimer ses volontés, on aurait pu penser que cet élu pourrait nous représenter auprès du Commissariat au Travail. Eh bien non. Bien que nous l’ayons élu, il faut que ce choix soit ratifié. »[9]

Un autre délégué au Congrès, Chirkin, affirma par exemple que « même s'il existe dans la plupart de nos régions des institutions représentant le mouvement syndical, les membres de ces institutions ne sont ni élus, ni ratifiés ; quand il y a des élections et que les individus élus ne plaisent pas au Conseil Central ou aux pouvoirs locaux, les élections sont annulées très facilement et les élus remplacés par d'autres individus, plus dociles ».

Lozovski, qui avait quitté le parti, parla en tant qu'internationaliste indépendant contre la politique bolchevik dans les syndicats.

Une résolution fut adoptée demandant « qu'un statut officiel garantisse les prérogatives administratives des syndicats ». On y parlait d’ «  étatisation des syndicats (...) dans la mesure où ses fonctions s'élargissaient toujours davantage et se fondaient avec celles de l'appareil gouvernemental d'administration et de contrôle de l'industrie ». Le Commissaire au Travail, V. V. Shmidt, accepta que «  les organes du Commissariat du Travail eux-mêmes puissent être construits à partir de l'appareil syndical ». Et, pour finir, le deuxième Congrès mit en place un Exécutif, investi de l'autorité suprême entre les Congrès. Les décrets de cet Exécutif seraient «  obligatoires pour tous les syndicats dans les affaires de leur juridiction et pour chaque membre de ces syndicats ». «  La violation des décrets ou le refus de les appliquer de la part de syndicats particuliers, seront sanctionnés par leur expulsion de la famille des syndicats prolétariens »

5.3 Étatisation des syndicats[modifier | modifier le wikicode]

Le 8e congrès du Parti bolchévik a lieu les 18-23 mars 1919 au milieu d'une accalmie de la guerre civile. Une vague de critiques de gauche contre les tendances ultra-centralistes s'y fit entendre. Un nouveau programme du Parti fut discuté et approuvé. Le point 5 de la «  Section Économique » déclarait que «  l'appareil d'organisation de l'industrie socialisée doit être basé essentiellement sur les syndicats (...). Les syndicats qui, conformément aux lois de la République Soviétique et à la pratique quotidienne, participent déjà aux tâches de tous les organes centraux et locaux de l'administration industrielle, doivent procéder à la concentration effective dans leurs propres mains de toute l'administration de l'économie dans son ensemble, considérée comme une seule unité économique (...). La participation des syndicats à la gestion économique et leur rôle, qui consiste à entraîner de larges masses dans ce travail, constitue également la meilleure méthode de lutte contre la bureaucratisation de l'appareil économique »[22]

Ce paragraphe célèbre devait soulever de violentes discussions dans les années qui suivirent. Riazanov lança cet avertissement au Congrès : «  nous n'éviterons pas la bureaucratisation tant que tous les syndicats n'auront pas abandonné (...) toutes leurs prérogatives dans l'administration de la production ». D'un autre côté, beaucoup des bolcheviks s'accrocheront à cette clause, comme un bastion qu'ils cherchaient à défendre contre la bureaucratie du Parti.

Deutscher décrit le «  point 5 » comme un « écart » syndicaliste dû à la reconnaissance des dirigeants bolcheviks pour le travail effectué par les syndicats pendant la guerre civile. Il souligne que les dirigeants bolcheviks «  durent bientôt chercher toute sorte de justifications pour annuler ce chèque en blanc que le Parti avait si solennellement donné aux syndicats ».[23]

Le programme déclarait que «  la méthode socialiste de la production ne peut être assurée que par une discipline entre camarades ouvriers ». Il confiait aux syndicats « le rôle principal dans la création de cette nouvelle discipline socialiste ». Le point 8 pressait les syndicats de «  faire comprendre aux travailleurs la nécessité de travailler avec des techniciens et spécialistes bourgeois, d'apprendre d'eux — et de surmonter la méfiance « ultra-radicale » envers ces derniers (...). Les ouvriers ne pourront pas construire le socialisme sans une période d'apprentissage auprès de l'intelligentsia bourgeoise (...). On acceptait ainsi les hauts salaires et les primes des « spécialistes » bourgeois. C'était la rançon que le jeune État prolétarien devait payer s'il voulait obtenir l'aide indispensable des techniciens et des scientifiques de formation bourgeoise »[22]

Le 4 décembre 1919, la 8e conférence du parti bolchévik vote les statuts des factions communistes dans les syndicats. Il s'agit de faire en sorte que les communistes appliquent les directives votées centralement en votant en bloc dans les instances syndicales. L'idée est résumé par la formule selon laquelle un communiste dans un syndicat doit être « d'abord un communiste, ensuite un syndicaliste ».

5.4 1920-21 : « Militarisation du travail »[modifier | modifier le wikicode]

Le 16 décembre 1919, Trotski soumet au Comité Central du Parti ses «Thèses sur la transition de la guerre à la paix » (où la plus importante de ses propositions était la «  militarisation du travail »), croyant que la discussion ne sortirait pas du cadre du Comité. Les décisions les plus importantes concernant les conditions matérielles de vie et de travail de centaines de milliers d'ouvriers russes allaient être discutées et prises à huis clos, par les dirigeants du Parti. Mais le jour suivant, la Pravda, dirigée par Boukharine, publia «  par erreur » les thèses de Trotski (il s'agissait en fait d'une campagne dirigée contre Trotski). Les propositions de Trotski déclenchèrent «  une avalanche de protestations »[24]. Il fut hué aux Conférences de membres du Parti, administrateurs et syndicalistes. A ce moment-là, Lénine soutient Trotski sans réserve. Cela déclenchera un peu plus tard (entre fin 1920 et début 1921) le débat sur la militarisation du travail, ou « débat sur les syndicats ».

Le 27 décembre, le gouvernement crée la Commission du Travail Obligatoire, avec Trotski (qui était toujours Commissaire à la Guerre) comme Président. En janvier 1920, le Sovnarkom publie un décret définissant des règles généralisant le Service du Travail obligatoire « pour subvenir aux besoins de main-d'œuvre de l'industrie, l'agriculture, les transports et les autres branches de l'économie nationale sur la base d'un plan économique général ». N'importe qui pouvait être mobilisé, exceptionnellement ou périodiquement, pour différents travaux (dans l'agriculture, le bâtiment, la construction des routes, l'approvisionnement en nourriture ou en combustible, pour enlever la neige, dans les transports ou pour «  faire face aux calamités publiques »). Le document signalait qu'il fallait dans une certaine mesure « regretter la destruction du vieil appareil policier qui avait su recenser les citoyens, non seulement dans les villes mais aussi dans les campagnes ».[25]

Le 12 janvier à la réunion du Conseil central panrrusse des syndicats (CCPS), Lénine et Trotski demandèrent à la réunion de la fraction bolchévique que la militarisation du travail soit acceptée. Mais seulement 2 des quelque 60 dirigeants syndicaux bolcheviks les appuyèrent.

Le 15 mars 1920, le bolchévik Tomski présente ses thèses pour la séance de la fraction du Conseil central pan-russe des syndicats (CCPS). Le point 7 de ces thèses incluait la collégialité dans la direction. Tomski affirme : « Les syndicats sont les organisations les plus capables mais aussi les plus intéressées par le rétablissement de la production dans le pays et son bon fonctionnement »[26]

Mais ces oppositions ne se limitaient pas à des débats d'orientation dans les congrès. A la même époque se livre une lutte d'influence entre appareil du parti et appareil syndical. La fraction du Parti dans le CCPS, dominée par la « gauche », essayait d'obtenir une autorité directe sur tous les membres du Parti dans les divers syndicats de l'industrie. Peu avant le 9e congrès du Parti, la fraction du Parti dans le CCPS adopta une résolution qui allait dans ce sens, soumettant directement toutes les fractions du Parti dans les syndicats à la fraction du Parti dans le CCPS plutôt qu'aux organisations «  régionales » du Parti. Cela aurait créé une organisation semi-autonome contrôlant un pourcentage élevé des membres du Parti. La résolution fut rejetée lorsqu'elle qu'elle fut soumise à l'Orgbureau.

Les décistes défendirent le centralisme. Leur résolution, votée par l'organisation moscovite du Parti, stipulait que « la discipline du Parti doit toujours l'emporter sur la discipline syndicale ».

En revanche le Bureau méridional du CCPS fit voter une résolution en faveur de l'autonomie dès syndicalistes du Parti semblable à celle qu'avait présenté l'organisation sœur — et la fit approuver par la 4e Conférence Ukrainienne du Parti.

Au milieu de 1920, le pays fait face à une crise très grave, qui se manifeste notamment dans les transports ferroviaires. Des ingénieurs prévoyaient que d'ici quelques mois, plus une seule voie de chemin de fer ne serait en état de marche. La direction bolchévique fit appel à Trotski, qui répondit d'abord qu'il ne connaissait rien aux chemins de fer. Par l'intermédiaire de ce qui devint le fameux ordre 1042, Trotski plaça les chemins de fer et les cheminots sous la loi martiale et assura la remise en état des chemins de fer avant la date limite prévue. Cette expérience conduisit à sa proposition d'une « remise en ordre » des syndicats.

La pénurie de spécialistes était un des facteurs les plus graves de désorganisation de l'industrie. L'État soviétique recensait les spécialistes et les ouvriers qualifiés, et les obligeait (sauf autorisation expresse) à travailler sur un poste exploitant au mieux leur spécialisation. Bertrand Russel, qui s'est rendu en Russie en 1920 et qui est très critique du bolchévisme, justifie ces mesures :

« Il est évident que par de telles mesures les bolcheviques ont été contraints de s’éloigner pas mal de l’idéal qui inspira la révolution à ses débuts. Mais la situation est si désespérée que l’on ne pourrait les blâmer si leurs mesures aboutissaient. Dans un naufrage, tous les bras doivent être utilisés, et il serait ridicule de prêcher la liberté individuelle. »[27]

Cependant, les bolchéviks ont eu tendance à théoriser comme « socialistes » les mesures drastiques qu'ils prenaient. Ainsi une des résolutions votées par le 9e Congrès du PCR (mars 1920) déclare :

« Tout système social, qu’il soit basé sur l’esclavage, le féodalisme ou le capitalisme, a ses voies et moyens pour rendre obligatoire le travail dans l’intérêt des exploiteurs. Le système soviétique a le devoir de recourir à sa propre méthode de travail obligatoire pour obtenir une augmentation du rendement et de l’utilité du travail ; cette méthode doit être basée sur la socialisation de l’économie nationale dans l’intérêt de la nation tout entière. »

En avril, Trotski est placé à la tête du Commissariat aux transports pour le remettre en ordre, tout en gardant son poste à la Défense. Le Politbureau s'engagea à l'appuyer quelle que soit la sévérité des mesures qu'il pourrait décider. Il commença à mettre tout le personnel des chemins de fer et des ateliers de réparation sous le régime de la loi martiale. Quand le syndicat des cheminots souleva des objections, Trotski révoqua ses chefs et en désigna d'autres.

Le Troisième congrès pan-russe des syndicats a lieu du 6 au 15 avril 1920. Sur la base de son expérience dans l'Armée rouge et dans le traitement de la question ferroviaire, Trotski défend de plus en plus ouvertement la « militarisation du travail », et la suppression de toute autonomie des syndicats.

« la militarisation du travail (...) est une méthode inévitable d'organisation et de discipline de la main-d'œuvre dans l'époque de transition du capitalisme au socialisme (...) Est-il bien vrai que le travail obligatoire ait toujours été improductif ? On est bien obligé de répondre à cela que c'est le plus pauvre et le plus libéral des préjugés (...) L'organisation du servage a été, dans certaines conditions, un progrès et a amené à une augmentation de la production (...) Dans la période difficile actuelle, les salaires ne sont pas pour nous un moyen d'adoucir l'existence personnelle de tout ouvrier, mais un moyen d'estimer ce que tout ouvrier apporte par son travail à la République ouvrière (...) Aucune autre organisation dans le passé, excepté l'armée, n'a exercé sur l'homme une plus rigoureuse coercition que l'organisation gouvernementale de la classe ouvrière à la plus dure époque de transition. Et c'est précisément pour cela que nous parlons de militarisation du travail »[28]

Boukharine se rallie à la plateforme de Trotski. Ces positions soulèvent alors beaucoup de critiques parmi les bolchéviks, en particulier l'Opposition ouvrière. Trotski défend et théorise également ses positions dans Terrorisme et communisme, où il écrit :

« Sans obligation du travail, sans droit de donner des ordres et d'exiger leur exécution, les syndicats perdent leur substance, car ils sont nécessaires à l'État socialiste en édification, non afin de lutter pour de meilleures conditions de travail — c'est la tâche de l'ensemble de l'organisation sociale gouvernementale — mais afin d'organiser la classe ouvrière pour la production, afin de la discipliner, de la répartir, de l'éduquer, de fixer certaines catégories et certains ouvriers à leur poste pour un laps de temps déterminé, afin, en un mot d'incorporer autoritairement, en plein accord avec le pouvoir, les travailleurs dans les cadres du plan économique unique »[29]

Lors de la 5e conférence pan-russe des syndicats (2-6 novembre 1920), Trotski soutient qu'il faut en finir avec l'existence parallèle des syndicats et d'organismes administratifs, responsable, d'après lui, de la confusion régnante. Ce qui ne pourrait être obtenu que par la transformation des organisations syndicales (professionalny) en organisations de production (proizvodstvenny).

À la fin de l'année (après la fin de la guerre russo-polonaise), une vague de mécontentement s'exprime. À l'automne, l'autorité de Lénine est contestée comme elle ne l'avait jamais été depuis le mouvement des « communistes de gauche ».

Les 8-9 novembre 1920, devant le plénum du comité central du parti, Trotski soumet un « projet préliminaire de thèse » intitulé « Les syndicats et leur rôle futur », publié plus tard en brochure le 25 décembre, sous une forme légèrement différente, sous le titre «  Le rôle et les tâches des syndicats ».

Au moment du vote, les thèses de Trotski furent repoussées à une voix : 8 contre 7, Lénine se dissociant alors de Trotski. Sa contre-proposition fut votée par 10 voix contre 4. Elle réclamait «  une réforme du Tsektran », préconisait «  des formes saines de militarisation du travail »[30] et proclamait que le parti «  devait éduquer et appuyer (...) un nouveau type de syndicaliste, l'organisateur économique énergique et imaginatif et qui affronterait les problèmes économiques non sous l'angle de la distribution et de la consommation mais sous celui de l'augmentation de la production ».

Le Comité Central « interdit à Trotski de parler en public des rapports entre les syndicats et l'État », ce qui fut annulé par le Comité Central lors de la réunion du 24 décembre, qui décida aussi que toute l'affaire devait être discutée ouvertement.

Le 2 décembre, Trotski maintint ses positions dans son discours à la session plénière élargie du Tsektran. Quand une fois de plus le Comité Central le désavoua, « Trotski rappela avec irritation à Lénine et aux autres membres du Comité, qu'ils l'avaient bien souvent poussé en privé (...) à agir avec rigueur et sans se soucier des principes de la démocratie. Il était déloyal de leur part affirmait-il, de jouer, en public, les défenseurs, contre lui, des principes démocratiques »[31].

Le 7 décembre, lors dune réunion plénière du Comité Central, Boukharine présenta une résolution sur la «  démocratie dans la production », formule qui devait rendre Lénine furieux : «  c'est un terme gauche, artificiel, propre à la gent intellectuelle ». «  La démocratie dans la production est un terme qui prête à la confusion. On peut le comprendre comme une négation de la dictature et de la direction unique ». « Les primes en nature et les tribunaux disciplinaires d'honneur ont cent fois plus de valeur pour prendre en mains l'économie, diriger l'industrie et élever le rôle des syndicats dans la production que les propos complètement abstraits (et partant creux) sur "la démocratie dans la production" etc. »[32].

Le 8e congrès pan-russe des soviets (22-29 décembre 1920) aborde notamment le débat sur les syndicats, qui s’était développé à l'intérieur du Parti mais qu'il n'était plus possible d'y confiner. Le 30 décembre eut lieu une réunion commune, au théâtre Bolchoï de Moscou, de la fraction du Parti au Huitième Congrès des Soviets, des membres du Parti du Conseil Central Panrusse des Syndicats, et de membres du Parti de plusieurs autres organisations, pour discuter de la «  question syndicale ». Tous les protagonistes de la discussion purent exposer leurs positions respectives.

Les nombreuses motions en début de ce congrès furent finalement ramenées à trois :

Pour Lénine, les syndicats étaient des «  réservoirs du pouvoir d'État ». Ils devaient fournir une large base sociale «  à la dictature prolétarienne exercée par le Parti », une base absolument indispensable étant donné le caractère essentiellement paysan de la population du pays. Les syndicats devaient servir de «  lien », de «  courroie de transmission » entre le Parti et les masses des travailleurs sans-parti. Ils pourraient devenir ainsi des « écoles du communisme » pour leurs 7 millions de membres. Mais « Le Parti Communiste Russe, représenté par ses organisations centrales et régionales, reste toujours le guide indiscutable de tout l'aspect idéologique du travail des syndicats ».[33]

Lénine soutint ainsi que les syndicats ne pouvaient pas être de simples organismes d'État. Trotski martelait (comme la plupart des bolchéviks) que puisque l'URSS est un État ouvrier, il est absurde que les ouvriers puissent faire grève contre eux-mêmes. Pour Trotski, sous le communisme de guerre, les grèves n'étaient « pas des faits de lutte de classe, mais plutôt des querelles intestines dans une classe. ». La grève « montrait seulement le manque de conscience, d’organisation et de fermeté intérieure de quelques éléments ouvriers. »[34]

Lénine justifiait une réserve en disant : « on se trompe manifestement car cet État n'est pas tout à fait ouvrier, voilà le hic. [...] En fait, notre État n'est pas un État ouvrier, mais ouvrier-paysan, c'est une première chose. [...] Notre État est un État ouvrier présentant une déformation bureaucratique. »[35] « La nature de notre État est telle que l'ensemble du prolétariat organisé doit se défendre lui-même : nous devons utiliser ces organisations ouvrières pour défendre les ouvriers contre leur propre État,et aussi pour que les ouvriers défendent notre État ». Son argumentation était en fait quasiment la même que celle de Martov au premier congrès pan-russe des syndicats (janvier 1918).

Selon Lénine, il ne fallait pas voir dans la militarisation un trait permanent de la politique socialiste du travail. Il fallait donc utiliser aussi bien la persuasion que la coercition. « Il était certes normal que l'on nomme des fonctionnaires «  d'en haut », mais il serait inopportun que les syndicats en fassent de même. Les syndicats pouvaient faire des suggestions pour certaines tâches économiques et administratives et devaient collaborer à la planification. Ils devaient surveiller, grâce à des départements spécialisés, le travail de l'administration économique. Le Conseil Central Panrusse des Syndicats aurait à fixer le taux des salaires. Il fallait, à cet égard, lutter contre l'extrême égalitarisme de l'Opposition Ouvrière. La politique des salaires devait être conçue de faon à « introduire la discipline dans le travail et augmenter la productivité ». Les membres du Parti avaient assez « discutaillé à propos de principes à Smolny. Maintenant, après trois ans, il y a des décrets qui régissent tous les aspects du problème de la production ». «  L'unique conclusion à tirer est que nous allons élargir la démocratie dans les organisations ouvrières, sans en faire le moins du monde un fétiche ».

Trotski affirma une fois de plus qu'il croyait que «  la transformation des organisations professionnelles (syndicales) en organisations de production (...) était la tâche la plus importante de l'époque » (...) «  Les syndicats devraient calculer continuellement la valeur de leurs membres du point de vue de la production et disposer toujours d'une estimation précise de la capacité productive de chaque ouvrier ». Il ajouta qu'il serait bon que les trois quarts ou la moitié des postes dans les organismes de direction des syndicats et de l'administration économique, soient occupés par les mêmes individus, afin d'en finir avec l'antagonisme existant entre ces deux instances. On devait permettre aux techniciens et aux administrateurs bourgeois qui étaient devenus membres de plein droit d'un syndicat, d'occuper des postes de direction, sans être surveillés par des commissaires. Il fallait également, après leur avoir assuré un salaire minimum réel, stimuler une concurrence entre ouvriers dans le «  travail de choc » (udarnichestvo) de la production.

Trotski, et surtout Boukharine, modifièrent leurs positions respectives afin de pouvoir constituer un bloc au Congrès. Ce que Boukharine essayait de faire maintenant, c'était d'arriver à une sorte de compromis entre les points de vue officiels du Parti et les idées de l'Oppositon Ouvière. Il pensait qu'il fallait créer une «  démocratie ouvrière dans la production ». L'«  étatisation des syndicats » devait aller de pair avec la «  syndicalisation de l'État ». «  Le résultat logique et historique (de ce processus) ne sera pas l'absorption des syndicats par l'État prolétarien, mais disparition de ces deux entités — aussi bien des syndicats que de l'État — et la création d'une troisième entité : la société organisée sur des principes communistes ».[36]

Lénine fit une attaque extrêmement violente sur les deux autres plateformes. «  Si les syndicats, composés dans leur neuf-dixièmes d'ouvriers sans-parti, nomment les dirigeants de l'industrie, à quoi sert le Parti ? (...). Nous sommes passés ajouta-t-il, menaçant - de petites divergences à une déviation syndicaliste [à propos de Boukharine] qui représente une rupture totale avec le communisme et une scission inévitable dans le Parti »[37]

C'est la position de Lénine qui sera majoritaire au 10e congrès (mars 1921).

Selon les chiffres donnés par Zinoviev au 10e Congrès, les syndicats comptaient 1,5 millions de membres en juillet 1917, 2,6 millions en janvier 1918, 3,5 millions en 1919, 4,3 millions en 1920, et 7 millions en 1921.

5.5 Subordination totale[modifier | modifier le wikicode]

En mai 1921 a lieu le Congrès pan-russe du syndicat des Métallurgistes. Son leader, Medvedev, était un membre actif de l'Opposition ouvrière. Le Comité Central du Parti envoya à la fraction du Parti dans le syndicat une liste de ses propres candidats à la direction du syndicat. Les délégués au Congrès repoussèrent cette liste, et la fraction communiste en fit de même (par 120 voix contre 40). Tous les moyens de pression imaginables furent utilisés pour vaincre cette résistance. Le Comité Central, sans tenir compte de ces votes, nomma son propre Comité des Métallurgistes.[38]

Le Quatrième Congrès pan-russe des syndicats eut lieu les 17-25 mai 1921. Le Congrès devait discuter du rôle des syndicats dans le nouveau secteur privé de l'économie créé ou simplement légalisé par la NEP. Le Comité Central du Parti confia à Tomsky, en sa qualité de Président du Conseil Central Panrusse des Syndicats, la préparation des « thèses » appropriées, et la mission de les faire accepter d'abord par la fraction du Parti et ensuite par l'ensemble du Congrès. Tout alla bien jusqu'au moment où le Congrès adopta, par 1 500 voix contre 30, une motion d'apparence inoffensive, présentée par Riazanov au nom de la fraction du Parti, et qui devait provoquer un véritable scandale. Le point essentiel de cette résolution affirmait que «  le Parti doit orienter globalement le choix du personnel dirigeant dans le mouvement syndical, mais le Parti doit faire un effort particulier pour garantir les méthodes normales de la démocratie prolétarienne, surtout dans les syndicats, où le choix des dirigeants doit être laissé aux syndiqués eux-mêmes ».

Le Comité Central réagit furieusement. Tomsky, qui n'avait même pas appuyé la malheureuse résolution, fut privé immédiatement de son mandat de représentant de Comité Central au Congrès, et fut remplacé par Lénine, Staline et Boukharine (pourtant assez étrangers au travail syndical).

On interdit définitivement à Riazanov de s'occuper de toute activité syndicale. On créa une commission spéciale, présidée par Staline, pour «  examiner la conduite de Tomsky ». Lorsque cette commission termina ses travaux, elle blâma sévèrement Tomsky pour sa «  négligence criminelle ». Tomsky perdit toutes ses responsabilités au Conseil Central Panrusse des Syndicats. En ce qui concerne la fraction de Parti, on la «  convainquit » de revenir sur sa décision de la veille.

Le 2 avril 1922, le 11e Congrès du parti communiste vote une résolution interdisant toute ingérence des syndicats dans la direction des entreprises :

L’intérêt primordial et fondamental du prolétariat, après la conquête du pouvoir d’État, réside dans l’augmentation de la production et dans l’accroissement considérable des forces productives de la société. Ce but, nettement mis en avant dans le programme du Parti communiste russe, est encore plus urgent dans l’état actuel de dévastation, de famine et de désorganisation d’après-guerre. Le progrès le plus rapide et le plus durable possible dans la reconstruction de l’industrie lourde représente une condition indispensable pour parvenir à affranchir le travail du joug du capital et à la victoire du socialisme ; or, ce succès exige à son tour, dans la situation russe actuelle, la concentration absolue de tout le pouvoir entre les mains de la direction d’entreprise. Celle-ci, conformément à la règle générale, repose sur le principe de la direction individuelle, décide de façon autonome des questions de salaires et de la répartition du papier-monnaie, des rations, des vêtements de travail et de tout autre approvisionnement, en tenant compte des clauses et des limites des conventions collectives conclues avec les syndicats ; ce faisant, la direction de l’entreprise doit garder le maximum de liberté de manœuvre, vérifier soigneusement la réalité des résultats dans l’accroissement de la production, de sa rentabilité en sélectionnant scrupuleusement les administrateurs les plus capables et les plus expérimentés, etc.

Toute ingérence des syndicats dans la direction de l’entreprise doit donc être considérée absolument comme néfaste et inadmissible.

Il est ajouté aussitôt :

Cependant il serait tout à fait erroné d’interpréter ce principe indiscutable comme la négation de la participation des syndicats dans l’organisation socialiste de l’industrie et dans la gestion de l’industrie nationale.

Trotski commente ce changement de rôle des syndicats dans la nouvelle situation de la NEP. L'extension de la sphère privée redonnait un sens à la grève, comme arme de défense contre les patrons. Dans la sphère étatique, il maintenait l'idée que la grève ne pouvait être que le fait que des secteurs ouvriers les moins conscients, mais que les directions (syndicales, étatiques) devaient tout faire pour désamorcer les conflits par la persuasion.[34]

5.6 Stalinisation[modifier | modifier le wikicode]

Sous le régime stalinien, les syndicats deviendront un simple rouage de l'État totalitaire, sans la moindre parcelle d'autonomie.

La législation soviétique ne comportait pas d'interdiction formelle de la grève, mais elle n'était pas non plus autorisée, donc la grève constituait une infraction à la discipline du travail (consacrée, elle, par la loi)[39]. Elle était cependant tolérée lorsque les mouvements de mécontentement ouvriers étaient massifs.

En 1932, une grande grève eut lieu dans la ville de Vitchouga, subissant la répression.[40][41] Il y eut des mises au «travail forcé» de centaines de milliers de personnes au cours des années 1930 et suivantes, notamment dans les goulags.

“Les jeunes pionniers et les écoliers saluent les délégués et invités à la 17e conférence des syndicats d'URSS.” Palais des congrès du Kremlin, 19 mars 1982

6 Données sur les grèves[modifier | modifier le wikicode]

La révolution de 1905 apparaît nettement sous la forme d'un pic des grèves.[42]

Année Nombre de grévistes (en milliers) Pourcentage de la main d’œuvre
1895-1904 (moyenne) 431 1.46 - 5.10
1905 2,863 163.8
1906 1,108 65.8
1907 740 41.9
1908 176 9.7
1909 64 3.5
1910 47 2.4

Le déclin des grèves politiques fut spécialement marqué.

Année Total jours de grève Jours de grève politique
1895-1904 (total) 2.079,408
1905 23.609,387 7.569,708
1906 5.512,749 763,605
1907 2.433,123 521,647
1908 864,666 89,021

D'un certain point de vue, l'année 1917 ne marque pas une rupture et il y a une continuité des mouvements de grève (en nombre) dans les années 1920, dans les entreprises étatisées comme dans les entreprises coopératives et privées.[43]

7 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. V.V. Sviatlovsky, История профессионального движения в России, Leningrad 1925, p. 301.
  2. D. Pospielovsky, Russian Police Trade Unions, London 1971, p. 7.
  3. « Переписка Н. Ленина и Н. К. Крупской с С. И. Гусевым », Пролетарская Революция, No.2(37), 1925
  4. Lénine, « С. И. Гусеву », tome 47 de la cinquième édition en russe des Œuvres.
  5. V. Grinevich, Профессиональное движение рабочих в России, St-Pétersbourg 1908, p. 285.
  6. S.M. Schwarz, Labor in the Soviet Union, New York 1952, p. 338.
  7. Lenin, Objective Data on the Strength of the Various Trends in the Working-Class Movement, Trudovaya Pravda No. 25, June 26, 1914
  8. Lenin, Report of the C.C. of the R.S.D.L.P. to the Brussels Conference and Instructions to the C.C. Delegation, June 23–30 (July 6–13), 1914
  9. 9,0 9,1 9,2 et 9,3 Marc Ferro, Des soviets au communisme bureaucratique, 1980
  10. Voline, La révolution inconnue, 1947
  11. Isaac Deutscher, Soviet Trade Unions, Royal Institute of International Affairs, London, 1950
  12. https://en.wikipedia.org/wiki/All-Russian_Teachers%27_Union
  13. A. Lozovsky, Rabochii Kontrol [Le Contrôle ouvrier], Éditions Socialistes, Pétrograd, 1918, p. 10
  14. E. H. Carr, The Bolshevik Revolution, 1917-1923, Penguin éd., vol. 2
  15. Pervy vserossiiski s'yezd professionalnykh soyuzov, 7-14 yanvarya 1918 g. [Premier Congrés Panrusse des syndicats, 7-14 janvier 1918], Moscou, 1918, p. 193.
  16. Vsesoyuzny s'yezd professionalnykh soyuzov tekstilshchikov i fabrichnykh komitetov, Moscou 1918
  17. Narodnoye khozyaistro, N° 2, 1918, p. 38.
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  19. Waldermar Koch, Die Bohchevistischen Gewerkshaften Icna 1932
  20. Zinoviev, Desyaty s'yezd RKP (b) : Protokoly [Le Dixième Congrès du PCR (b) : compte rendu], Moscou, IMEL, 1933
  21. Vtoroi vserossiiski s'yezd professionalnykh soyuzov stenograficheski otchet [Second Congrès Panrusse des syndicats, rapport sténographié], Moscou, Editions Syndicales Centrales, 1919,
  22. 22,0 et 22,1 Vosmoi s'yezd RKP (b) : Protokoly [Le Huitième Congrès du PCR (b) : compte rendu], Moscou, IMEL, 1933
  23. I. Deutscher, Soviet Trade Unions, 1950
  24. I. Deutscher, Trotski, I, Le prophète armé (1879-1921), Paris, Julliard, 1962, p. 642.
  25. Sobraniye Uzakonenii, 1920, N° 8, art. 49, V. aussi Treti vserossiiski s'yezd professionalnykh soyuzov [Troisième Congrès Panrusse des syndicats] 1920, I, Plenumi, pp. 50-51
  26. Tomsky, « Zadachi prosoyuzov » [Les tâches des syndicats]. Neuvième Congrès du Parti, Appendice 13, p. 534.
  27. Bertrand Russell, Pratique et théorie du bolchevisme, 1920
  28. Treti vserossùski s'yezd professionalnykh soyuzov : stenografïcheski otchet (Troisième Congrès Panrusse des Syndicats : compte rendu sténographique), Moscou, 1920 [Le «  Rapport sur l'organisation du Travail » de Trotski présenté à ce Congrès, complété de passages empruntés aux rapports présentés au Congrès Panrusse des Conseils Économiques et au IXème Congrès du P.C.R., est reproduit dans le chapitre VIII de Terrorisme et communisme.]
  29. Léon Trotski, Terrorisme et communisme, mai 1920
  30. V. I. Lenin, Selected Works, vol. IX, p. 30.
  31. I. Deutscher, Trotski, I, Le prophète armé, 1954
  32. V. I. Lénine, À nouveau les syndicats, la situation actuelle et les erreurs de Trotski et Boukharine, Oeuvres Choisies, vol. 3, p. 631
  33. «  O roli i zadachakh profsoyuzov » [Sur le rôle et les tâches des syndicats} Dixième Congrès du Parti, Résolution, 1, pp. 536-542
  34. 34,0 et 34,1 Léon Trotski, La grève dans l’État ouvrier, 13 avril 1922
  35. Lénine, Les syndicats, la situation actuelle et les erreurs de Trotski, 30 décembre 1920
  36. Boukharine, « O z.adachakh i strukture profsoyuzov » [Sur les lâches et la structure des syndicats], Dixième Congrès du Parti, Appendice 16, p. 802.
  37. V. I. Lénine, « Krisis partii », [La crise dans le parti], Pravda, 21 janvier 1921
  38. Isvestiya Ts, K., N° 32. 1921, pp. 3-4.
  39. Semion Ivanov, La grève en droit soviétique, Revue internationale de droit comparé, Année 1991
  40. « Grève générale de Vichouga » sur la Wikipédia russe
  41. Jeffrey Rossman, Une grève ouvrière dans la Russie de Staline. Avril 1932: le soulèvement de Vitchouga, 2002
  42. Lenin, Strike Statistics in Russia, December 1910
  43. A.J. Andreev, Leonid Iosifovitch Borodkin, Juri L. Kir’Janov, Les conflits du travail en Russie soviétique pendant le « communisme de guerre » et la NEP, Le Mouvement Social 2001/3 (n° 196)