Loi de la valeur

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La loi de la valeur indique que la valeur d'échange d'une marchandise est déterminée par le travail humain qu'elle incorpore, plus précisément le temps de travail socialement nécessaire. Il s'agit de la valeur réelle, la valeur de marché oscillant autour de celle-ci en fonction de l'offre et la demande. C'est l'analyse développée par Karl Marx.

Le concept de valeur-travail rejoint celui de la loi de la valeur, bien que cela englobe différents auteurs qui n'avaient pas exactement l'analyse de Marx. Globalement au sein de l'économie dominante, l'école classique (Petty, Smith, Ricardo...) analysait la valeur en terme de valeur-travail, tandis qu'à partir de l'économie néoclassique, c'est la théorie de l'utilité marginale qui s'est généralisé.

1 Définition[modifier | modifier le wikicode]

La loi de la valeur, énoncée par Marx, indique que la valeur d'échange d'une marchandise est déterminée par le temps de travail socialement nécessaire à sa production. Ainsi, plus la production d'une marchandise demande de temps, plus cette marchandise aura une valeur importante.

Ce qui compte, dans l'établissement de la valeur d'échange d'une marchandise, est le temps de travail socialement nécessaire à sa production, et non le temps de travail réellement fourni pour la produire. Sinon, un vêtement produit par un artisan paresseux ou maladroit, qui travaillerait deux fois plus lentement que la moyenne, aurait une valeur deux fois plus grande que les vêtements identiques produits plus rapidement par d'autres artisans...

2 Temps de travail socialement nécessaire[modifier | modifier le wikicode]

Il est important de bien comprendre la notion de temps de travail socialement nécessaire dans toute son étendue pour bien comprendre la loi de la valeur.

Il s'agit bien d'une loi sociale, qui n'est pas issue d'un calcul conscient, mais de tendances se réalisant d'elles-mêmes dans la société, en l'occurrence des mécanismes de marché. Prenons un cas simplifié de baisse des valeurs :

  • Situation initiale : dans le monde entier, tous les artisans réalisent des t-shirts à la main, le temps de travail moyen dont ils ont besoin est similaire, et les prix également (P).
  • A un instant donné, un capitaliste anglais commence à utiliser une machine à coudre permettant à un ouvrier qui l'utilise de produire 4 fois plus de t-shirts en une journée que l'artisan. Pour ce capitaliste, le temps de travail nécessaire pour un t-shirt a été divisé par 4 (donc le coût de production est passé à ¼ P). Mais le temps de travail socialement nécessairement n'a pas évolué. La décision individuelle du capitaliste n'a pas encore eu d'impact social. Celui-ci peut donc vendre ses t-shirts au même prix que tout le monde, et réaliser 4 fois plus de profit. Mais il peut aussi décider de vendre moins cher ses t-shirts, pour attirer des consommateurs vers lui plutôt que vers la concurrence (et il y est généralement poussé, car il ne trouvera sans doute pas assez d'acheteurs s'il se met soudainement à vendre 4 fois plus de t-shirts au même prix). De son point de vue, il dispose d'une certaine marge de liberté pour fixer un prix entre ¼ P et P, qui lui rapporte dans tous les cas un surprofit.
  • Pour résister, les concurrents sont obligés d'essayer de baisser leurs prix. Cela signifie que les artisans doivent rogner sur leurs revenus ou travailler plus longtemps ou plus intensément pour essayer de rivaliser avec l'industriel. Mais il y a des limites à ce qu'un artisan peut faire pour baisser les prix en sacrifiant son niveau de vie (admettons qu'ils ne baissent leurs prix que d'un quart, à ¾ P). L'effet baissier sur les prix commence déjà à se faire sentir, mais si les artisans restent bloqués à ¾ P, le temps de travail socialement nécessaire reste à ¾ P. Même si un capitaliste, seul, peut vendre en dessous de ce prix. Cette situation peut durer aussi longtemps que les artisans continuent à trouver des acheteurs malgré la différence de prix (ce qui dépend également des mesures protectionnistes etc.).
  • Un peu plus tard, un autre capitaliste est parvenu à acheter la même machine à coudre, et décide de se lancer dans la concurrence la plus agressive possible avec le premier : pour cela il choisit de vendre le moins cher possible, à ¼ P.
  • En réaction, le premier capitaliste est obligé de baisser ses prix à ¼ P.
  • Bien vite, les artisans qui n'ont pas pu accéder aux nouveaux moyens de production sont ruinés, et le nouveau prix s'est établi à sa nouvelle valeur.

Le temps de travail socialement nécessaire prend aussi en compte tous les aléas qui découlent des facteurs naturels :

  • Dans l'agriculture : « le même quantum de coton, par exemple, représente un quantum plus considérable de travail lorsque la récolte est mauvaise que lorsqu'elle est bonne, alors la marchandise ancienne, qui ne compte jamais que comme échantillon de son espèce, s'en ressent immédiatement, parce que sa valeur est toujours mesurée par le travail socialement nécessaire, ce qui veut dire par le travail nécessaire dans les conditions actuelles de la société. »[1]
  • Dans l'extraction minière et la valeur des métaux précieux : L'or étant plus rare que l'argent, le temps de travail socialement nécessaire (prospection, excavation d'un filon, séparation du minerai...) sera plus grand.
  • Si le pétrole devient de plus en plus rare, cela équivaut à dire que le temps de travail socialement nécessaire pour l'extraire augmente (prospection, puits plus profond ou isolés sous l'Arctique, etc.).

3 Preuves de la loi de la valeur[modifier | modifier le wikicode]

3.1 Preuve analytique[modifier | modifier le wikicode]

Si on décompose le prix d'une marchandise en ses éléments constituants et qu'on remonte suffisamment loin, on ne trouve que du travail. En effet, le prix d'une marchandise peut être ramené à quatre éléments :

  • l'amortissement du capital fixe (entretien du matériel, etc.) ;
  • l'amortissement du prix des matières premières ;
  • le salaire ;
  • la plus-value.

Le salaire et la plus-value sont du travail pur. Le prix des matières premières est composé en partie du salaire des travailleurs utilisés pour les extraire, en partie du prix d'autres matières premières et de l'amortissement du capital fixe. Le prix du capital fixe se décompose lui-même en une partie de travail et une partie de matières premières, et ainsi de suite. Quand on continue cette analyse suffisamment longtemps, la proportion du travail dans le prix de la marchandise tend vers 100%.

3.2 Preuve logique[modifier | modifier le wikicode]

Celle-ci est énoncée par Marx au début du Capital. Son raisonnement est le suivant: pour que des marchandises puissent être échangées, il faut qu'elles soient comparables l'une à l'autre, donc qu'elles aient un point commun. Il ne peut pas s'agir de leurs qualités naturelles : ni le poids (par exemple, un kilo d'or et un kilo de beurre n'ont pas la même la valeur), ni la taille, ni la forme ou la couleur, etc. Marx conclut que le seul point commun de ces marchandises qui ne soit pas physique, c'est qu'elles sont des produits du travail humain.

3.3 Preuve par l'absurde[modifier | modifier le wikicode]

Dans une société où le travail n'existerait pas (où tout serait produit par des robots par exemple), personne ne recevrait de revenu puisque personne n'interviendrait dans la production. Mais si personne n'avait de revenu, alors personne ne pourrait rien acheter, les marchandises ne pourraient pas être vendues, ni, donc, définies par leur valeur.

4 Exceptions[modifier | modifier le wikicode]

Pour qu'un bien soit une marchandise, dont la valeur est déterminée par la loi de la valeur, il faut que ce bien soit générique, reproductible. Un certain nombre de biens échappent totalement ou partiellement à ce critère.

Les œuvres d’art sont "marchandisées", mais leur valeur marchande est déterminée spéculativement. Le prix d'un tableau original d'un-e "grand peintre" est sans rapport concevable avec le temps de travail socialement nécessaire à sa production, tout simplement parce qu'il n'y a pas de production de masse, pas de "travail social" autour de ce tableau original. En revanche, une reproduction du tableau sera une marchandise dans le plein sens du terme.

Les produits de la recherche scientifiques sont également un cas particulier. Marx souligne qu'ils ont bien été marchandisés par le capitalisme (qu'ils ont contribué à faire naître) :

« Si le procès productif devient sphère d’application de la science, alors la science devient inversement une fonction du procès productif. »[2]

Mais il remarque que ces marchandises sont par nature sous-évaluées par la loi de la valeur :

« En tant que produit du travail intellectuel, la science se trouve toujours au-dessous de sa valeur. Parce que le temps de travail nécessaire à sa reproduction n’a aucun rapport avec le temps de travail nécessaire à sa production originelle. »

On peut étendre ce raisonnement à la plupart des productions intellectuelles marchandisées (concepts brevetés, logiciels...).

5 Origines théoriques[modifier | modifier le wikicode]

Plusieurs économistes avant Marx avaient commencé à analyse l'origine de la valeur comme temps de travail. Ainsi il écrivait :

L'un des premiers économistes, après William Petty, qui ait percé la nature de la valeur, le célèbre Franklin, écrit ceci: «Comme le commerce en général n'est rien d'autre que l'échange d'un travail contre un autre travail, c'est en travail que la valeur de toutes choses sera le plus exactement évaluée». (The Works of B. Franklin, éd. Sparks, Boston, 1836, t.II, p.267) [3]

Marx considère encore en 1858 (à l’époque de Misère de la philosophie) la théorie de la valeur de Ricardo comme correcte.[4]

En 1862, il la rejette parce qu’elle mène à la confusion entre valeurs et prix de production.[5]

Marx continuait à travailler sur la valeur au cours des années 1860, et même entre les différentes éditions du Capital.[6]

6 Analyses concurrentes[modifier | modifier le wikicode]

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L'économiste libéral J. B. Say explique que la plus-value (intérêt, profit , rente), viendrait du travail (qui serait ainsi intégralement payé par le salaire) mais aussi de « services productifs » rendus par les moyens de production : terre, instruments, cuir, etc.

Dans le Capital, Marx souligne deux aspects :

  • le fait que les marchandises apparaissent sous une forme-valeur et donc paraissent commensurables à de l'argent, est un effet de l'extension de la sphère de la circulation (« la forme-valeur, ou l'expression de valeur de la marchandise, découle de la nature de la valeur-marchandise »[3]),
  • la grandeur de valeur sous laquelle s'échange une marchandise contre une autre provient, elle, de la sphère de la production (temps de travail socialement nécessaire).

Selon Marx, bon nombre d'erreurs des autres économistes proviennent de la confusion sur cette distinction :

« Les mercantilistes mettent l'accent sur le côté qualitatif de l'expression de valeur, donc sur la forme-équivalent de la marchandise, laquelle possède dans la monnaie sa figure achevée, les modernes colporteurs du libre-échange, par contre, qui doivent liquider leur marchandise à n'importe quel prix, le mettent sur le côté quantitatif de la forme-valeur relative. Pour ces derniers il n'existe par conséquent ni valeur ni grandeur de valeur de la marchandise si ce n'est dans l'expression donnée par le rapport d'échange, et donc sur la seule étiquette du prix courant au jour le jour. »[3]


Parmi ceux que Marx appelaient les économistes vulgaires, venus après les classiques, beaucoup entendaient réfuter la loi de la valeur. Par exemple :

Avec sa sagacité habituelle, l'économie vulgaire a exploité cette non-congruence entre la grandeur de valeur et son expression relative: «Admettez par exemple que A baisse parce que B, contre quoi il est échangé, monte, et ceci bien qu'entre-temps il n'ait pas fallu moins de dépense de travail pour produire A, et tout votre beau principe général de la valeur s'effondre... Si l'on admet que, parce que la valeur de A monte relativement à B, la valeur de B baisse relativement à A, on balaye du même coup toute la base sur laquelle Ricardo édifie sa proposition majeure, et selon laquelle la valeur d'une marchandise est constamment déterminée par le quantum de travail qui lui est incorporé; en effet, dès lors qu'un changement dans les coûts de production de A modifie non seulement sa propre valeur par rapport à B, contre quoi on l'échange, mais aussi la valeur relative de B par rapport à A, on voit s'effondrer non seulement la doctrine qui nous assure que c'est la quantité de travail dépensée pour la production d'un article qui règle sa valeur, mais aussi la doctrine selon laquelle ce sont les coûts de production d'un article qui règlent sa valeur» (J. BROADHURST, Political Economy, Londres, 1842, p.11, 14).[3]

Ou encore :

« La valeur d'une marchandise dénote son rapport d'échange [avec une autre marchandise quelconque] nous pouvons donc parler [de cette valeur comme] de sa valeur blé, sa valeur habit, par rapport à la marchandise à laquelle elle est comparée; et alors il y a des milliers d'espèces de valeur, autant d'espèces de valeur qu'il y a de genres de marchandises, et toutes sont également réelles et également nominales. » (A Critical Dissertation on the Nature, Measure and Causes of Value : chiefly in reference to the writings of Mr. Ricardo and his followers. By the author of Essays on the Formation, etc., of Opinions, London, 1825, p. 39.) S. Bailey, l'auteur de cet écrit anonyme qui fit dans son temps beaucoup de bruit en Angleterre, se figure avoir anéanti tout concept positif de valeur par cette énumération des expressions relatives variées de la valeur d'une même marchandise. Quelle que fût l'étroitesse de son esprit, il n'en a pas moins parfois mis à nu les défauts de la théorie de Ricardo. Ce qui le prouve, c'est l'animosité avec laquelle il a été attaqué par l'école ricardienne, par exemple dans la Westminster Review.[7]

7 Pour approfondir[modifier | modifier le wikicode]

Guglielmo Carchedi étudie l'articulation des "savoirs" et de la théorie marxiste de la valeur dans son article Capitalism and the age of internet.

8 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. Karl Marx, Livre I - Chapitre VIII : Capital constant et capital variable, 1867
  2. K. Marx, Manuscrits de 1861-1863
  3. 3,0 3,1 3,2 et 3,3 Karl Marx, Le Capital, 1867 - Chapitre premier : La marchandise, Deuxième édition
  4. Lettre de Marx à Lassale, 11 mars 1858
  5. Voir la lettre de Marx à Engels du 2 août 1862
  6. R. Hecker, Zur Entwicklung der Werttheorie von der 1. Zur 3. Auflage des ersten Bandes des « Kapitals » von Karl Marx (1867-1883) in Marx-Engels-Jahrbuch, n. 10, 1987, pp. 147-96.
  7. Karl Marx, Le Capital - Chapitre III : La monnaie ou la circulation des marchandises, 1867