Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme

De Wikirouge
Aller à la navigation Aller à la recherche

Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme est un écrit posthume de Friedrich Engels de 1876. Il met en avant le rôle primordial du travail dans la transformation de l'espèce humaine et sa séparation avec le singe. Il s'appuie notamment sur les travaux du biologiste Ernst Haeckel.

Il montre que la main est plus déterminante que le cerveau dans le développement de l'humain et des sociétés.

Ce qui va à l'encontre de l'idée reçue selon laquelle dans le développement historique de l'humain c'est le cerveau qui prime sur la main et par extension que c'est l'intellectuel qui prime sur le manuel, ou l'intelligence logique et technique sur l'intelligence pratique et sociale.

Or, cet article met en avant une dialectique de la nature où c'est la main et le travail qui déterminent le développement du cerveau et non l'inverse.

« Ainsi, la main n'est pas seulement l'organe du travail, elle est aussi le produit du travail. Ce n'est que grâce à lui, grâce à l'adaptation à des opérations toujours nouvelles, grâce à la transmission héréditaire du développement particulier ainsi acquis des muscles, des tendons et, à intervalles plus longs, des os eux mêmes, grâce enfin à l'application sans cesse répétée de cet affinement héréditaire à des opérations nouvelles, toujours plus compliquées, que la main de l'homme a atteint ce haut degré de perfection où elle peut faire surgir le miracle des tableaux de Raphaël, des statues de Thorvaldsen, de la musique de Paganini. »

1 Commentaire de Stephen Jay Gould[modifier | modifier le wikicode]

Gould, S.-J. (1997). La posture fait l'homme (p.222-228). in Darwin et les grandes énigmes de la vie. Points (première édition US, 1977).

« En fait, nous devons au XIX siècle un exposé brillant, dont l'auteur surprendra sans doute beaucoup de lecteurs puisqu'il s'agit de Friedrich Engels.

Engels à écrit en 1876, un traité intitulé Le Rôle du travail dans le passage du singe à l'homme qui ne fut publié qu'en 1896, après sa mort, et qui n'a malheureusement exercé aucune influence sur la science occidentale.

Engels considère trois caractéristiques essentielles de l'évolution humaine : le langage, la taille du cerveau et la station debout.

Il pense que la première étape a été la descente des arbres et que nos ancêtres installés sur le sol, se sont progressivement redressés.

« Ces singes, vivant sur le sol perdirent l'habitude de se servir de leurs mains et adoptèrent une attitude de plus en plus droite. Ce fut une étape décisive du passage du singe à l'homme. ».

La position debout libérait les mains et permettait l'utilisation d'outils (c'est ce qu'Engels appelle travail). Le développement de l'intelligence et le langage vinrent plus tard.

« Ainsi, poursuis Engels, la main n'est pas seulement un outils de travail, c'est également le produit du travail. Ce n'est que par travail, par l'adaptation à des opérations toujours nouvelles [...], par l'utilisation toujours renouvelé des améliorations léguées par héritage dans des opérations nouvelles, de plus en plus complexes, que la main humain a atteint le degré de perfection qui lui a permis de faire naître les peintres de Raphaël, les statues de Thorvaldsen, la musique de Paganini. »

Engels présente ses conclusions comme si elles se déduisaient naturellement des prémices de sa philosophie matérialistes, mais je suis persuadé qu'il les a chipées à Haeckel. Les deux formulations sont presque identiques, et dans un autre essai écrit en 1874, Engels cite les pages correspondantes de Haeckel. Mais peu importe.

L'importance de l'essai d'Engels ne réside pas dans ses conclusions elles-mêmes, mais dans l'analyse politique pénétrante par laquelle il montre que la science fondait son raisonnement sur une affirmation arbitraire : la primauté du cerveau.

[Comme aujourd'hui depuis les années 90, période de la victoire de la finance sur le social, après la destruction du communisme du XX. Ce fut aussi l'avènement de la neuroscience.]

À mesure que les êtres humains maîtrisaient leur environnement matériel, continue Engels, de nouvelles techniques s'ajoutèrent à la chasse primitive : l'agriculture, le filage, la poterie, la navigation, les arts et les sciences, les lois et la politique puis finalement, « le reflet grotesque des choses humaines dans l'esprit humain : la religion. »

A mesure que la richesse augmentait, des groupes d'homme s'emparèrent du pouvoir et contraignirent les autres à travailler pour eux. Le travail, source de toutes richesses et premier moteur de l'évolution de l'homme, fut assimilé au statut de ceux qui travaillaient pour les dirigeants. Comme les dirigeants gouvernaient par leur volonté (c'est-à-dire par l'action de l'esprit) il apparut que le cerveau était lui-même le moyen du pouvoir.

Les philosophes se mirent sous la protection de l'Église ou de l'État. Même si Platon n'avait pas consciemment l'intention de soutenir les privilèges des dirigeants à l'aide d'une philosophie prétendument abstraite, sa propre position sociale l'encourageait à insister sur la primauté, la domination de la pensée, considérée comme plus noble et plus importante que le travail qu'elle supervise.

La tradition idéaliste a dominé la philosophie jusqu'à l'époque de Darwin. Son influence était si subtile et si pénétrante que même des matérialistes scientifiques, mais apolitiques, tels que Darwin n'y échappèrent pas. [Du moins jusqu'à la Descendance de l'homme en 1881. Et, les mises à jour de l'Origine des espèces tendent à s'en écarter.]

Il faut connaître un préjugé avant de le combattre.

La primauté du cerveau semble si évidente et si naturelle qu'on la tenait pour acquise, sans se douter qu'elle reflétait un préjugé social profondément ancré, lié à la position des penseurs professionnels et de leurs protecteurs dans la communauté.

Et Engels conclut :

« On a attribué tout le mérite des progrès rapide de la civilisation à l'esprit, au développement de l'activité de cerveau [aujourd'hui à sa forme numérisée : l'AI]. Les hommes s'accoutumèrent à expliquer leurs actes par leurs pensées et non par leur besoins [nécessité utile]. Ainsi à mesure que le temps passait, une vision idéaliste du monde, en particulier depuis la disparition de l'ancien monde, s'est installé dans l'esprit des hommes. Elle s'exerce aujourd'hui encore à un degré tel que même les plus matérialistes des hommes de science, comme ceux de l'école de Darwin, sont incapables d'avoir une idée claire de l'origine de l'homme, parce que, soumis à cette idéologie, ils ne peuvent reconnaître le rôle joué par le travail. »

L'importance de l'essai d'Engels ne réside pas dans le fait que l'australopithèque a confirmé la théorie qu'il propose (via Haeckel)Note 1, mais plutôt dans l'analyse pénétrante du rôle de la science et des pressions sociales qui influences la pensée. »  (p225-228)

1.1 Note 1 de l'Éditeur (1997)[modifier | modifier le wikicode]

Note 1 : Depuis que S.J. Gould a écrit cet article, les recherches paléo-anthropologique effectuées en Afrique de l'Est ont incité les spécialistes à reconsidérer cette question. En particulier, il semblerait que la station debout ait précédé la fabrication d'outils de plus d'un millions d'années chez les ancêtres de l'homme (cf. 'La Recherche', février 1983). Ceci contredit l'hypothèse d'Engels. (N.d.E.).