Fétichisme

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Dans un sens économique le fétichisme de la valeur, ou fétichisme de la marchandise, est une notion introduite par Marx dans son ouvrage majeur, Le Capital.

1 L'illusion fétichiste[modifier | modifier le wikicode]

Le fétichisme désigne l'illusion en vertu de laquelle l'être humain attribue aux choses des propriétés humaines, des caractéristiques qui ont en réalité leur source dans les rapports sociaux inter-humains. En particulier, le caractère "échangeable" des marchandise est vu comme étant une propriété des marchandises elles-mêmes, et non comme une conséquence du fait qu'elles sont des produits du travail humain. Comme l'écrit le bolchévik Alexandre Bogdanov :

« Incapable de comprendre que la collaboration des producteurs dans leur combat avec la nature, c’est-à-dire les rapports sociaux entre les hommes, s’exprime dans l’échange, le fétichisme de la marchandise considère l’échangeabilité des marchandises comme une propriété interne, naturelle, des marchandises elles-mêmes. En d’autres termes, ce qui est en réalité un rapport entre les hommes apparaît, dans le contexte du fétichisme de la marchandise, comme un rapport entre les choses. »[1]

Le fétichisme est aggravé par le fait que la valeur d'une marchandise s'exprime en argent. En effet, si l'on dit qu'une table équivaut, dans l'échange, à deux chaises, on peut encore apercevoir assez bien le travail humain qui confère aux marchandises leur valeur d'échange, et on peut comparer intuitivement le travail nécessaire à la fabrication d'une table et le travail nécessaire à la fabrication d'une chaise. C'est beaucoup moins évident quand on dit qu'une table coûte, par exemple, cent euros. Dans une société féodale basée sur la dépendance directe entre seigneur et serf, les rapports sociaux apparaissent directement comme des rapports entre être humains ; ce n'est pas le cas sous le capitalisme.

Mais cette considération n'épuise pas la portée de la notion marxiste de fétichisme. Marx montre aussi que dans une économie marchande, les rapports sociaux de production prennent inévitablement la forme de rapports entre les choses. L'économie marchande fait jouer aux choses un rôle particulier : là est la base matérielle objective de l'illusion fétichiste.

2 Exposé de la notion dans le livre I du Capital[modifier | modifier le wikicode]

Dans le livre I du Capital, Marx expose sa théorie du fétichisme en ces termes :

« Une marchandise paraît au premier coup d'œil quelque chose de trivial et qui se comprend de soi-même. Notre analyse a montré au contraire que c'est une chose très complexe, pleine de subtilités métaphysiques et d'arguties théologiques. En tant que valeur d'usage, il n'y a en elle rien de mystérieux, soit qu'elle satisfasse les besoins de l'homme par ses propriétés, soit que ses propriétés soient produites par le travail humain. Il est évident que l'activité de l'homme transforme les matières fournies par la nature de façon à les rendre utiles. La forme du bois, par exemple, est changée, si l'on en fait une table. Néanmoins, la table reste bois, une chose ordinaire et qui tombe sous les sens. Mais dès qu'elle se présente comme marchandise, c'est une tout autre, affaire. A la fois saisissable et insaisissable, il ne lui suffit pas de poser ses pieds sur le sol ; elle se dresse, pour ainsi dire, sur sa tête de bois en face des autres marchandises et se livre à des caprices plus bizarres que si elle se mettait à danser.

Le caractère mystique de la marchandise ne provient donc pas de sa valeur d'usage. Il ne provient pas davantage des caractères qui déterminent la valeur. D'abord, en effet, si variés que puissent être les travaux utiles ou les activités productives, c'est une vérité physiologique qu'ils sont avant tout des fonctions de l'organisme humain, et que toute fonction pareille, quels que soient son contenu et sa forme, est essentiellement une dépense du cerveau, des nerfs, des muscles, des organes, des sens, etc., de l'homme. En second lieu, pour ce qui sert à déterminer la quantité de la valeur, c'est-à-dire la durée de cette dépense ou la quantité de travail, on ne saurait nier que cette quantité de travail se distingue visiblement de sa qualité. Dans tous les états sociaux le temps qu'il faut pour produire les moyens de consommation a dû intéresser l'homme, quoique inégalement, suivant les divers degrés de la civilisation. Enfin dès que les hommes travaillent d'une manière quelconque les uns pour les autres, leur travail acquiert aussi une forme sociale.

D'où provient donc le caractère énigmatique du produit du travail, dès qu'il revêt la forme d'une marchandise ? Evidemment de cette forme elle-même.

Le caractère d'égalité des travaux humains acquiert la forme de valeur des produits du travail ; la mesure des travaux individuels par leur durée acquiert la forme de la grandeur de valeur des produits du travail ; enfin les rapports des producteurs, dans lesquels s'affirment les caractères sociaux de leurs travaux, acquièrent la forme d'un rapport social des produits du travail. Voilà pourquoi ces produits se convertissent en marchandises, c'est-à-dire en choses qui tombent et ne tombent pas sous les sens, ou choses sociales. C'est ainsi que l'impression lumineuse d'un objet sur le nerf optique ne se présente pas comme une excitation subjective du nerf lui-même, mais comme la forme sensible de quelque chose qui existe en dehors de l'œil. Il faut ajouter que dans l'acte de la vision la lumière est réellement projetée d'un objet extérieur sur un autre objet, l'œil ; c'est un rapport physique entre des choses physiques. Mais la forme valeur et le rapport de valeur des produits du travail n'ont absolument rien à faire avec leur nature physique. C'est seulement un rapport social déterminé des hommes entre eux qui revêt ici pour eux la forme fantastique d'un rapport des choses entre elles. Pour trouver une analogie à ce phénomène, il faut la chercher dans la région nuageuse du monde religieux. Là les produits du cerveau humain ont l'aspect d'êtres indépendants, doués de corps particuliers, en communication avec les hommes et entre eux. Il en est de même des produits de la main de l'homme dans le monde marchand. C'est ce qu'on peut nommer le fétichisme attaché aux produits du travail, dès qu'ils se présentent comme des marchandises, fétichisme inséparable de ce mode de production. »[2]

Ou encore :

« D'où proviennent les illusions du monétarisme?[3] A considérer l'or et l'argent, il n'a pas vu que ceux-ci représentent, en tant que monnaie, un rapport social de production, bien que sous la forme de choses naturelles douées de propriétés sociales étranges. Quant à l'économie moderne, qui affiche une condescendance hautaine à l'égard du monétarisme, ne touche-t-on pas du doigt son fétichisme à elle dès qu'elle traite du capital? Depuis combien de temps s'est dissipée l'illusion physiocratique qui veut que la rente foncière sorte du sol et non de la société? »

3 Sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. Alexandre Bogdanov, Bref cours de science économique, 1920.
  2. Karl Marx, Le Capital, I, 1, IV. — Le caractère fétiche de la marchandise et son secret, 1867
  3. Marx parle ici de ceux qu'on appelaient les « currencistes », en vogue au début du 19e siècle.