Discussion:Mai 1968

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En 2008, le quarantième anniversaire des événements de Mai 68 a donné lieu, dans les média, à un traitement souvent infidèle et malhonnête. Beaucoup de commentateurs se sont acharnés à conjurer la révolution en expliquant que Mai 68, c'est du passé. Ou bien on nous a expliqué que Mai 68 était une révolution purement morale, civilisationnelle, qui a donné le jour à un nouvel ordre culturel, et qui n'a rien à voir avec l'oppression capitaliste.

En réalité, Mai 68 fut avant tout la plus grande grève générale de l'histoire de France. Il s'agit d'un événement magnifique, mais dont il faut interroger les raisons de l'échec.

1 Genèse[modifier le wikicode]

1.1 Evolution économique et sociale de l'après-guerre[modifier le wikicode]

Mai 68 arrive à la fin d'une longue phase d'expansion économique, les "Trente Glorieuses", au cours desquelles les fruits de la croissance ont pu, dans une certaine mesure, être partagés. La lutte des classes avait, selon les capitalistes, perdu en intensité, et même des théoriciens marxistes, comme André Gorz, expliquaient à la veille de Mai 68 qu'il ne pourrait pas y avoir de crise du capitalisme dans un avenir proche[1].

En réalité, les Trente Glorieuses avaient considérablement renforcé le poids social de la classe ouvrière en France. Longtemps, les classes dirigeantes françaises, traumatisées par la Commune de Paris, avaient sciemment freiné le développement du prolétariat urbain en développant une économie fondée sur le capital financier et sur l'exploitation coloniale. Mais au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l'industrie se développa rapidement et l'exode rural s'accéléra. Seul 15% de la population vivait encore de l'agriculture en 1968, contre 50% en 1936. En plus, le prolétariat était désormais concentré dans de grandes unités industrielles. L'usine Renault de Boulogne-Billancourt rassemblait 30 000 salariés.

Dans les années 50 et 60, le niveau de vie moyen de la classe ouvrière avait augmenté (des biens de consommation comme les machines à laver, les réfrigérateurs, etc., étaient de plus en plus répandus). Mais parallèlement, la croissance de l'industrie provoquait un accroissement du temps de travail. Le temps de travail moyen, en 1968, était de 45 heures par semaine, alors que la classe ouvrière avait arraché, en 1936, la semaine de 40 heures. Des millions de travailleurs vivaient dans la misère, dont six millions sous le seuil de pauvreté. Le chômage avait augmenté de 70% entre 1960 et 1968.

1.2 Signes avant-coureurs[modifier le wikicode]

Les années 1960 ont été marquées par une série de signes avant-coureurs. En 1963, une longue grève des mineurs avait abouti à une victoire partielle. En 1967 et 1968, les débrayages se multipliaient. De grosses grèves éclatèrent à Lyon, à Caen, à Sud Aviation. Une grande effervescence se fit jour dans la classe ouvrière.

2 Historique des événements[modifier le wikicode]

2.1 La mobilisation étudiante[modifier le wikicode]

Sur fond d'opposition à la Guerre du Vietnam, la contestation étudiante est permanente, depuis le début de l'année 1968, à la fac de Nanterre. Les coups d'éclat d'une minorité d'étudiants s'attirent la sympathie d'une majorité de leurs camarades. Le 2 mai 1968, la direction de la fac de Nanterre décide se suspendre les cours. Le lendemain, la contestation se déplace à la Sorbonne, dans le Quartier latin. Un meeting de solidarité est organisé avec les étudiants de Nanterre. Dehors, les fascistes du groupe Occident menacent de passer à l'action. La police intervient et embarque 400 étudiants sous les huées de leurs camarades. Les premiers affrontements éclatent dans la soirée, les premières barricades sont dressées.

Le lendemain, toute la presse condamne l'activiste étudiant, y compris L'Humanité. Mais les arrestations de la Sorbonne ne font que radicaliser le mouvement. Le 6 mai, une manifestation de 60 000 personnes réclame la libération des étudiants emprisonnés, la réouverture de la Sorbonne, et le départ de la police du Quartier latin. En fin d'après-midi, les manifestants s'affrontent avec la police. Les heurts font 600 blessés, et 400 étudiants sont interpellés. Pendant plusieurs jours, le mouvement s'étend à d'autres universités. Le 10 mai au soir, la violence policière atteint des niveaux extrêmes. 60 barricades sont érigées dans Paris (c'est la "nuit des barricades"). Les CRS chargent sans aucune retenue, inondent le quartier de gaz lacrymogène et n'hésitent pas à pénétrer chez les gens pour y traquer leurs proies. Certains policiers vont chercher les blessés à l'hôpital pour "finir le travail".

Cette violente répression policière suscite une vague d'indignation dans la population. Symptôme caractéristique d'une crise révolutionnaire, le gouvernement se divise en deux camps : de Gaulle est partisan de la fermeté, alors que son premier ministre Pompidou plaide en faveur de concessions. Face à l'indignation générale, et sous la pression de la classe ouvrière qui veut elle aussi en découdre, les syndicats appellent à une grève générale de 24 heures pour le 13 mai.

2.2 La grève générale[modifier le wikicode]

La grève générale du 13 mai est un énorme succès. La manifestation parisienne regroupe 1 million de personnes; la grève touche quasiment l'ensemble des secteurs de l'économie. Mais à aucun moment les directions syndicales ne songent à poursuivre la grève au-delà de 24 heures. Elles espèrent au contraire que les concessions que fera le gouvernement aux étudiants va calmer le mécontentement populaire, et que tout rentrera dans l'ordre.

Mais vu le succès du 13 mai, chacun sent bien qu'il est possible d'aller plus loin. Les directions syndicales sont rapidement débordées : le 14 mai, les travailleurs de Sud-Aviation se mettent en grève, suivis par les salariés de Renault à Flins, Le Mans et Boulogne. Puis ce sont les gaziers, les cheminots, les électriciens et les mineurs qui se lancent dans la grève. En quelques jours, celle-ci se répand comme une traînée de poudre dans tous les secteurs. Le 21 mai, on compte 10 millions de grévistes. Le pays est paralysé.

Face à la montée révolutionnaire, toutes les couches intermédiaires sont contaminées par le mouvement : artistes, sportifs, médecins, journalistes, avocats, etc., prennent tous part au mouvement, remettent en cause la routine de leur métier. Les paysans organisent le ravitaillement avec les grévistes, les écrivains occupent le siège de la Société des Gens de Lettres, les docteurs celui de l'Association médicale... Même l'Eglise est affectée. Dans le Quartier Latin, de jeunes catholiques occupent une église et exigent que la messe soit remplacée par un débat. Une large section des classes moyennes est affectée par la crise.

Le 24 mai, de Gaulle tente de désamorcer la crise en annonçant un référendum, mais les travailleurs de l'imprimerie refusent d'imprimer les bulletins de vote. Les imprimeurs belges refusent également, par solidarité. D'autres actions de solidarité internationale apparaissent : des travailleurs britanniques employés par des entreprises françaises se mettent en grève, les dockers italiens et néerlandais refusent de décharger les bateaux venant de France.

2.3 Révolution ou "vaste mouvement revendicatif" ?[modifier le wikicode]

Mais le credo du PCF et de la CGT est, du début à la fin du mouvement, de dire que la situation n'est pas révolutionnaire, et qu'il ne s'agit que d'un "vaste mouvement revendicatif" qui doit déboucher sur des négociations. Or ces deux organisations sont extrêmement puissantes : le PCF a 400 000 membres, la CGT environ 2,5 millions. Si elles avaient voulu prendre le pouvoir, elles n'auraient eu qu'à le ramasser. En fait, même si les militants communistes et cégétistes sont la colonne vertébrale du mouvement, leurs dirigeants freinent des quatre fers. Le PCF, même s'il n'a pas formellement renoncé au socialisme, est devenu un parti pleinement réformiste, qui théorise l'idée que l'objectif immédiat en France et de réaliser une véritable démocratie capitaliste contre les tendances dictatoriales du régime gaulliste. La perspective du socialisme est renvoyé aux calendes grecques. Cette position s'explique par les liens étroits que le PCF entretient avec la bureaucratie soviétique. Les dirigeants soviétiques craignent mortellement une révolution en France, car un tel événement pourrait avoir un impact sur la classe ouvrière russe et des autres pays du bloc de l'Est. L'exemple d'une authentique démocratie ouvrière en France signerait l'arrêt de mort des bureaucraties prétendument socialistes à l'Est.

En réalité, Mai 68 a vu les masses faire irruption, à une échelle colossale, sur l'arène politique. On n'a jamais été aussi proche d'une révolution en France. La grève générale a posé, concrètement, la question du pouvoir. Une situation de "double pouvoir" s'est développée : les comités de grève ont constitué, face à l'Etat capitaliste, un embryon d'Etat des travailleurs. C'est dans la région de Nantes que les choses sont allées le plus loin, avec un comité de grève central qui coordonnait l'activité des comités d'entreprises. Les travailleurs ont pu, par ce levier, organiser la distribution d'essence et de nourriture, contrôler les prix des marchandises. Les grévistes ont même commencé à réorganiser la vie sociale, en célébrant des mariages !

Mais Mai 68 nous enseigne aussi ceci : si la grève générale pose la question du pouvoir, elle ne peut seule y répondre. Il faut, pour cela, que la direction du mouvement prenne des mesures décisives pour balayer l'Etat capitaliste et constituer un nouvel Etat sur la base des comités de grève. Mais pour le PCF, la CGT, la CFDT, FO, il n'en était pas question. Aussi, les dirigeants syndicaux traîtres se précipitent à la table des négociations le 25 mai.

2.4 L'échec des accords de Grenelle[modifier le wikicode]

Face au risque de tout perdre, la classe capitaliste est disposée à d'énormes concessions. Son calcul est simple : céder pour le moment, puis laisser passer l'orage et reprendre ce qu'elle a accordé. C'est exactement ce qui se produira.

Les accords de Grenelle, signés le 27 mai, contiennent des dispositions progressistes :

  • larges augmentations salariales :
  • augmentation des petites retraites ;
  • reconnaissance de la section syndicale d'entreprise ;
  • réduction du ticket modérateur ;
  • engagements sur une réduction du temps de travail.

Mais quand Georges Séguy, dirigeant de la CGT, présente l'accord devant les travailleurs de Renault Billancourt, il est hué par sa base, qui réclame un "gouvernement populaire". Dans une circonstance normale, les travailleurs auraient accueilli les accords de Grenelle comme une grande victoire. Mais en Mai 68, la situation n'est pas "normale" : elle est révolutionnaire.

Les accords de Grenelle sont une réédition, à un niveau supérieur, des accords de Matignon en 1936. Mais en 1936, le PCF avait immédiatement appelé à la reprise du travail après la signature des accords. En 1968, il ne peut pas se le permettre, et doit prendre acte du refus de la base.

Le 27 mai au soir, la gauche non communiste (CFDT, PSU, UNEF...) organise un meeting au Stade Charléty, devant 30 000 personne. Mais ces organisations ne présentent aucune perspective sérieuse. Dans le même temps, le PCF et la CGT organisent le 29 mai, sous la pression populaire, une manifestation de 500 000 personnes sous le mot d'ordre de "gouvernement populaire". Le lendemain, de Gaulle annonce la dissolution de l'Assemblée nationale et la tenue de nouvelles élections en juin. Les dirigeants communistes, trahissant une nouvelle fois leur base, se déclarent satisfaits.

L'un des principaux arguments du PCF pour ne pas tenter de prendre le pouvoir consiste dans le risque supposé d'une répression militaire sanglante. Effectivement, dès le début des événements, de Gaulle a réfléchi à organiser une répression sanglante, mais il n'a jamais mis son projet à exécution, de peur de la réaction des masses. Et surtout, l'armée ne forme pas un bloc solide derrière le pouvoir. Elle est aussi touchée par la contamination révolutionnaire, même si le pouvoir a soin de cacher cette situation. En mai, une mutinerie éclate ainsi sur le porte-avions Clemenceau. Même de nombreux policiers, courant mai, refusèrent de faire leur travail. Les services de renseignement refusèrent de donner certaines informations au gouvernement. Ce n'est pas l'armée qui a sauvé le capitalisme français, en Mai 68 : c'est la gauche et les syndicats.

2.5 Le reflux[modifier le wikicode]

Le soir du 30 mai, les secteurs opposés à la grève organisent de gigantesques manifestations dans toute la France. Dans les jours qui suivent, la grève recule. L'enthousiasme initial des travailleurs commence à faire place à une certaine lassitude. La reprise du travail s'amorce, mais c'est souvent la rage au ventre. Mais la reprise du travail est étalée dans tout le mois de juin : certains secteurs refusent de reprendre avant d'avoir obtenu un accord supérieur aux accords de Grenelle. Mi-juin, on compte encore 4 millions de grévistes. Face à cette résistance, l'Etat déclenche une répression brutale, qui fait 4 morts et de nombreux blessés. Le patronat se venge en licenciant des militants (925 ouvriers de Citroën sont licenciés).

Aux législatives de juin, la droite est largement majoritaire. Le PCF accuse l'"aventurisme gauchiste" d'avoir fait gagner la droite et exclut de ses rangs des milliers de militants critiques. En réalité, les résultats des législatives étaient une conséquence logique des doutes, de la fatigue et de la désorientation consécutifs à l'échec de la grève. Le PCF a fait campagne pour l'ordre et la loi ; de nombreux électeurs ont préféré l'original gaulliste à la copie communiste.

La plupart des acquis de Mai 68 ont été rapidement liquidés par l'inflation, volontairement stimulée par les classes dirigeantes, qui a rongé l'augmentation des salaires. Cinq ans plus tard, la récession mondiale frappait l'économie mondiale et le chômage de masse se développait de façon vertigineuse.

3 Sources[modifier le wikicode]

L'essentiel de cette page est issu de l'article de Jérôme Métellus, "La révolution de Mai 68", [1].

  1. André Gorz, Réforme et révolution, 1968.

http://www.lariposte.com/la-revolution-de-mai-68,1021.html